Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/392

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur fait encore quelquefois d’avoir été comme étrangers à notre « tradition nationale » ou « gauloise ; » et, au contraire, on pourrait montrer qu’ils ont fixé la tradition classique. Je ne connais guère de plus beaux sonnets que ceux de Ronsard ; et quant à ses Hymnes, — c’est M. Emile Faguet qui en faisait tout récemment la remarque, — ni Vigny, ni Hugo, ni Leconte de Lisle n’ont peut-être écrit de plus beaux « Fragmens épiques. » Mais, si d’ailleurs on préférait peut-être un Ronsard moins inspiré de l’antiquité ; dont le style, moins savant, ne fût pas pour cela d’une moindre qualité ; qui fût égal dans la grande satire à ce qu’il est dans l’Hymne ou dans le Sonnet, on le trouverait dans les Discours des Misères de ce temps.

C’est ce que le lecteur aura pu voir chemin faisant, et rien ne serait plus facile que d’en multiplier les exemples. Citons seulement, en l’abrégeant, la belle prière qui termine le Discours des Misères de ce temps :


O Dieu qui de là-haut nous envoyas ton fils
Et la paix éternelle avecque nous tu fis,
Donne, je te supply, que cette Reine Mère,
Puisse de ces deux camps apaiser la colère ;
Donne-moi derechef que son sceptre puissant
Soit malgré le discord en arme fleurissant ;
Donne que la fureur d’une guerre barbare
Aille bien loin de France au rivage tartare ;
Donne que nos couteaux, de sang humain tachés,
Soient dans un magasin pour jamais attachés.
………………
Ou bien, ô Seigneur Dieu, si les cruels destins
Nous veulent saccager par la main des mutins,
Donne que hors des poings échappe l’alumelle
De ceux qui soutiendront la mauvaise querelle ;
Donne que les serpens des hideuses fureurs
Agitent leurs cerveaux de paniques terreurs ;
Donne qu’en plein midi le jour leur semble trouble,
Donne que pour un coup ils en sentent un double,
Donne que la poussière entre dedans leurs yeux ;
D’un éclat de tonnerre arme la main aux cieux,
Et, pour punition, élance sur leur tête,
Et non sur les rochers, les coups de la tempête.


Il ne faut pas nous y méprendre ! près de cent ans avant Corneille, ce sont là ce qu’on appelle des accens cornéliens ; et quelques familiarités d’expression que l’on pourrait relever aisément dans ces vers n’y sont ni plus nombreuses, ni plus choquantes que