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On put s’en départir par la suite ; ou tout au moins en atténuer la sévérité, mais l’expérience prouva une fois de plus qu’il est matériellement impossible de passer brusquement du régime de l’esclavage à celui de la liberté sans traverser une époque intermédiaire où le travail obligatoire est une nécessité sociale.


VI

Le général Gallieni s’embarqua à Marseille le 10 août. Il était accompagné des seuls renforts qu’il eût demandés, soit quatre compagnies de la légion étrangère[1]. Il avait en outre l’autorisation d’employer les fusils et munitions en réserve à Madagascar pour armer les populations indigènes et les mettre en état de résister par elles-mêmes à l’insurrection. Bien que les derniers télégrammes du résident général signalassent une légère amélioration, et que M. Laroche « se sentît maître de la situation autant qu’on peut l’être au milieu de circonstances de force majeure qui créent de si fâcheux embarras[2], » l’état de choses que le nouveau commandant en chef allait trouver à son arrivée dans l’île n’était pas particulièrement brillant ni rassurant.

Il est inutile, et il serait trop triste, d’insister sur les conséquences variées qu’avait produites l’anarchie des services français : le spectacle que présentaient les populations indigènes suffit à montrer l’intensité du mal. « À Tananarive, disait dès la fin de mai un haut fonctionnaire civil, très attaché pourtant aux conceptions de l’administration tunisienne, à Tananarive, on commence à se faire une idée de ce que nous voulons, parce que tous les jours nous conférons avec quiconque se présente à nous. Mais en province, à des centaines de kilomètres, chez des gens qui n’ont jamais vu un blanc, comment voulez-vous qu’on comprenne quelque chose à ce phénomène inouï dans les annales malgaches d’un gouvernement battu à plate couture et qui subsiste ? Faut-il lui obéir encore ou prendre sa revanche des griefs passés ? La reine est-elle réellement libre ? La générosité invraisemblable des Français durera-t-elle, et ne vont-ils pas prendre les terres et les femmes ? ne vont-ils pas émanciper les esclaves ?

  1. En arrivant à Tamatave, il demanda doux compagnies d’infanterie de marine stationnées à la Réunion. Elles lui furent aussitôt expédiées. On lui envoya en outre de France 10 000 fusils (iras et les cartouches correspondantes.
  2. Télégramme du 20 juillet.