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prêter son appui à la « reine de Madagascar » et à lui faciliter la conversion de l’emprunt contracté par elle en 1886 auprès du Comptoir d’escompte. Mais la « voie rapide » est souvent, aux colonies, fort lente : ces instructions, qui durent être expédiées par estafette de Majunga, point d’atterrissement du câble, à Tananarive, n’atteignirent pas le général Duchesne en temps utile. Le commandant en chef, qui, lorsqu’il les reçut, venait de signer le traité du 1er octobre, jugea, non sans raison, qu’il serait peu convenable d’en solliciter, à si bref intervalle, la modification, et que les changemens réclamés par son gouvernement ne compenseraient pas l’inconvénient qu’il y aurait à se donner les apparences de telles incertitudes de conduite. Les traités, au surplus, valent bien moins par eux-mêmes que par le parti qu’en sait tirer une politique avisée et tenace.

Le mouvement d’opinion contre la formule du protectorat persistait cependant dans la métropole. Le cabinet Ribot, auteur des instructions de septembre, fut renversé sur ces entrefaites, et le ministère Léon Bourgeois, qui lui succéda au début de novembre, crut devoir faire un pas de plus dans le sens des adversaires du traité du 1er octobre. Sa prétention était qu’au regard des tiers, et principalement de l’Angleterre et des Etats-Unis, l’occupation de Madagascar par la France produisît les mêmes effets qu’une annexion formelle, tandis que, pour l’administration intérieure de l’île, les rapports des vainqueurs et des vaincus resteraient réglés selon les principes du protectorat. Il résulta des déclarations faites le 27 novembre au Palais-Bourbon par M. Berthelot, ministre des Affaires étrangères, que la France avait « pris possession » de Madagascar et qu’elle le signifierait aux puissances ; d’autre part, lorsque M. Laroche, nommé résident général à Tananarive, rejoignit son poste, il eut pour mandat de substituer à la convention bilatérale du 1er octobre un acte unilatéral que signerait seule la reine de Madagascar et qui constituait une sorte de capitulation de celle-ci : le mot de protectorat, que les tiers eussent pu opposer à la France comme laissant subsister les traités antérieurs à la conquête, disparaissait entièrement du texte ; mais ces stipulations expresses ne constituaient pas autre chose que l’acceptation par la reine de la tutelle généralement impliquée par le mot, sans que la France émît la prétention d’administrer directement la grande île[1].

  1. Les instructions données par M. Berthelot à M. Laroche sont du 11 décembre ; on aura l’occasion d’y revenir par la suite. M. Laroche fit signer l’acte unilatéral par la reine Ranavalo dès son arrivée à Tananarive, c’est-à-dire le 18 janvier 1896. En voici les dispositions :
    « S. M. la Reine de Madagascar, après avoir pris connaissance de la déclaration de prise de possession de l’île de Madagascar par le gouvernement de la République française, déclare accepter les conditions ci-après :
    « ARTICLE PREMIER. — Le gouvernement de la République Française sera représenté auprès de la reine de Madagascar par un résident général. — Art. 2. — Le gouvernement de la République Française représentera Madagascar dans toutes ses relations extérieures. Le résident général sera chargé des rapports avec les agens des puissances étrangères ; les questions intéressant les étrangers à Madagascar seront traitées par son entremise. Les agens diplomatiques et consulaires de la France en pays étrangers seront chargés de la protection des sujets et des intérêts malgaches. — Art. 3. — Le gouvernement de la République Française se réserve de maintenir à Madagascar les forces militaires nécessaires à l’exercice de son autorité. — Art. 4. — Le résident général contrôlera l’administration intérieure de l’île. S. M. la reine de Madagascar s’engage à procéder aux réformes que le gouvernement français jugera utiles au développement économique de l’île et au progrès de la civilisation. — Art. 5. — Le gouvernement de S. M. la reine de Madagascar s’interdit de contracter aucun emprunt sans l’autorisation du gouvernement de la République Française. »