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ouverts sur ce qu’il faisait. On ne voulut y voir qu’une habileté nouvelle pour mieux dissimuler ses projets. Nous ne voulons pas entamer avec la France une guerre de plume, dit, au ministre anglais Loftus, Schleinitz, des bonnes dispositions de qui Thouvenel se croyait assuré ; mais, quand vous aurez besoin de soldats, vous pouvez compter sur nous. Quelqu’un ayant dit à Palmerston que c’était indolence politique, il se récria : « Que parlez-vous d’indolence ? Il a une prodigieuse activité d’esprit, qui l’incite à embrasser une multitude de sujets, à descendre au moindre détail. Il a réussi à se faire le centre de la politique européenne, tout en activant et renouvelant l’administration, reconstruisant Paris, et, cela ne lui suffisant pas, il s’occupe à écrire la vie de Jules César ! » Le ministre anglais crut plus que jamais aux machinations pour annexer la Sardaigne ; il souriait, lorsqu’on lui affirmait, fût-ce Cowley, le projet sérieux d’évacuer Rome. « Du tout, répliquait-il, cette position militaire est trop bonne, soit pour appuyer une dynastie française à Naples, soit pour agir contre l’Autriche, si elle se mêle de ce qui ne la regarde pas. » La défiance poussée à un tel aveuglement constitue une maladie mentale.

Cependant il est vrai qu’il n’y avait pas d’indolence politique en cette application à la Vie de César ; elle ne dénotait que de la lassitude. Tant qu’un souverain persiste à se considérer comme seul responsable de la destinée d’un grand peuple, qu’il doit tenir debout parmi des rivaux et préserver du mauvais vouloir d’une Europe en crise de concentration, il ne se divertit pas à composer un livre d’érudition. Napoléon Ier n’a écrit qu’à Sainte-Hélène. Se faire historien et homme de lettres au sommet d’un pouvoir dictatorial équivaut à déclarer qu’on est prêt à l’abdiquer. Moïse, l’homme très doux (vir mitissimus), plus que tous ceux qui demeuraient sur la terre, exerçait seul le pouvoir absolu sur Israël ; enfin, accablé de ce poids, il le jugea intolérable (intoleranda res visa est) et il se tourna vers le Seigneur : Je ne puis plus soutenir tout ce peuple ; il est trop lourd pour moi.


Mon Dieu ! vous m’avez fait puissant et solitaire,
Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre.


Le Seigneur ne le laissa pas s’endormir du sommeil de la terre, et il choisit soixante-dix vieillards afin qu’ils soutinssent avec lui le fardeau, et qu’il ne fût plus seul surchargé. — Quel est l’homme puissant qui, au bout de quelques années passées dans