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plateau, au-dessus de la vallée de Chevreuse, les Ambesys. L’opuscule condamné nous parvint là ; nous en fûmes enthousiasmés ; nous retrouvions, sous la plume d’un jeune écrivain que nous ne connaissions pas, nos idées, nos espérances, celles que j’avais notamment exprimées dans mon discours sur la presse. Je lui écrivis, en notre nom, une lettre de félicitations. Ainsi commencèrent des relations qui cependant ne devinrent pas alors fréquentes. Nous continuâmes à poursuivre le même combat, parallèlement, d’une manière distincte, sans entente préalable, comme par le passé, nous, agissant sur la portion éclairée de la bourgeoisie et du peuple, lui, sur la jeunesse d’un monde d’élite[1].


VII

L’Empereur se demanda quel parti il prendrait vis-à-vis des actes d’émancipation de son Corps législatif. Blâmerait-il Morny de les avoir tolérés et même facilités et les arrêterait-il par une manifestation de sa volonté comme il avait fait en 1852 contre les empiétemens de l’opposition conduite par Montalembert ; ou bien les sanctionnerait-il ? Pour comprendre le parti qu’il adopta, il faut se rendre compte de la situation nouvelle d’esprit dans laquelle il se trouvait depuis la guerre d’Italie.

Napoléon III en était revenu se croyant obligé à un acte de grande vigueur et d’importance capitale, la réorganisation de son armée. Il y avait urgence à corriger les défectuosités que le prestige de la victoire cachait au public, et qu’il avait en quelque sorte touchées de la main. C’était un rude labeur. Le laisser aller dans

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  1. Je retrouve dans une étude de mon confrère Othenin d’Haussonville, sur le comte de Paris, belle étude digne du modèle, la preuve de l’action de Paradol. « On nous élevait, nous autres jeunes gens qui arrivions à l’âge de la vie publique, dans une idée que je crois fausse aujourd’hui, mais qui séduisait beaucoup nos esprits inexpérimentés : c’est que la forme, le principe du gouvernement devaient être tenus pour indifférens, et qu’une seule chose importait : la liberté. Les garanties de la liberté pouvaient être obtenues aussi bien de l’empire ou de la république que de la monarchie. Il fallait les réclamer, les conquérir, et pour cela se jeter avec ardeur dans les luttes électorales. Mais, en ce temps-lii, pour être député ou même conseiller général, il fallait prêter serment, et jurer non seulement obéissance à la Constitution, mais fidélité à l’Empereur. Or il semblait à ma conscience, peut-être un peu trop rigide (je ne discute pas), qu’il y avait quelque chose de contradictoire entre la fidélité à l’Empereur et le dévouement personnel à des princes d’une autre dynastie. Je me tenais donc, vis-à-vis de M. le comte de Paris, sur le pied d’une certaine réserve dont il voulut bien, plus tard, comprendre le motif. » (Revue des Deux Mondes, septembre 1895.)
  2. Fleury.