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la thèse la plus brillante qu’on eût entendue depuis trente ans et, grâce à ces succès, obtint d’être chargé de la suppléance du ministre de l’Instruction publique) Fortoul, à Aix (décembre 1855). Il trouva grande faveur devant les soixante-dix-huit Aixois, dont vingt-trois Aixoises, qui composaient son auditoire ; mais il étouffait dans la solitude mélancolique de la solennelle ville parlementaire ; il jetait un regard d’envie sur la brillante Marseille, et il avait surtout la nostalgie de Paris. Il finit par ne plus y tenir, dépouilla sa robe de professeur pour toujours et fut chargé, à vingt-sept ans, de rédiger au Journal des Débats le bulletin quotidien. Il ne tarda pas à se trouver à l’étroit dans ce travail un peu ingrat, qui l’astreignait à trop de prudence. Il réduisit sa collaboration aux articles purement littéraires et vint en toute liberté parler de politique chaque quinze jours dans le Courrier du Dimanche.

Ce fut un émerveillement. On prétend qu’il se forma, comme presque tous les écrivains de ce siècle, par l’étude de Rousseau ; je croirais plutôt que, dans une existence antérieure, il s’était longuement façonné à l’art d’écrire, tant il en connut, dès son début, les ressources, les gammes diverses, les souplesses aussi bien que les puissances, les ironies non moins que les élévations. Si l’on avait pu désirer quelque chose dans un ensemble aussi accompli, c’eût été un peu plus de relief et de couleur. Il ne les recherchait point par horreur de l’emphase ; on n’en trouve pas trace dans ses écrits les plus véhémens ; et cependant ils entraînent, car ils sont passionnés, et la véritable passion se communique sans phrases redondantes. La sienne était intense et de toutes les manières ; je lui parlais un jour de quelqu’un qui s’était guéri d’une passion, il m’interrompit vivement : « Alors ce n’était pas une passion. » Dans ses idées comme dans ses sentimens, il apportait une telle fougue, une ardeur si impétueuse, qu’il fût devenu un sectaire s’il n’eût été retenu par une justesse d’esprit et une impassibilité de jugement qu’aucune émotion, quel qu’en fût l’emportement, ne maîtrisait.

II écrivait presque sans ratures : sans se donner aucune peine, il traitait supérieurement tous les sujets. Celle végétation luxuriante de belle spontanéité n’était que la parure d’une solidité peu commune ; solidité d’esprit, solidité de caractère. Passer sa vie à noircir du papier ne lui paraissait pas plus enviable que de professer. Ces artifices d’opposition, cet art d’envelopper la vérité