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Est-ce dix mille ? Est-ce vingt mille ? Nous n’en savons rien ; mais la foule qui l’emplissait ressemblait à une mer humaine, mer parfaitement calme, d’ailleurs, et où n’apparaissait aucun danger de tempête. La seule difficulté a été d’entendre les deux orateurs, d’abord M. Millerand, ministre du commerce, puis M. Loubet, président de la République. Leurs discours se perdaient un peu dans une enceinte aussi vaste, et, bien que M. Millerand ait chanté le sien à la manière d’une mélopée, c’est à peine si on percevait de temps en temps les mots de vapeur, d’électricité, — la vapeur qui rapproche les distances et l’électricité qui les supprime, — de mutualité, de solidarité, et surtout de bonté. On a vraiment un peu abusé de ce dernier vocable, au point de donner à croire que nous ne sommes pas seulement bons, mais même débonnaires. Contentons-nous d’être bienveillans et accueillans pour les étrangers que nous avons conviés à nous rendre visite : cela suffit. Il y a, il est vrai, une rhétorique comme une architecture d’Exposition, et il faut la prendre dans son ensemble, sans trop s’arrêter à certains motifs d’ornementation. En somme, tout s’est passé très convenablement, et dans le cadre approprié. Au sortir de la salle des fêtes, le cortège a traversé le palais de l’Électricité, qui promet d’être une des grandes attractions de l’Exposition ; puis le Champ-de-Mars, qui en est le centre. On s’est enfin embarqué sur la Seine, et c’est alors qu’on est entré en pleine féerie. Le panorama qui se déroule sur les deux rives du fleuve est un enchantement pour les yeux. On a cherché longtemps quel serait le clou de l’Exposition : il est là. Et nous le disons d’autant plus volontiers que l’honneur n’en revient pas à nous seuls. Tous ces palais, ces chalets, ces kiosques ont été construits par les diverses nations qui ont répondu à notre appel : chacune y a mis le cachet de son génie, et quelquefois de sa fantaisie. Rien n’est plus original. La Seine devient le fleuve international par excellence : toutes les architectures s’y reflètent, comme dans une chaîne ininterrompue d’évocations monumentales, à la fois puissantes et légères. La vue et l’imagination en sont également charmées. On s’est arrêté au pont Alexandre III, dont l’empereur Nicolas a posé la première pierre, parrainage qui lui a porté bonheur, car c’est un des détails les mieux réussis de l’Exposition. Il lui survivra, ainsi que les deux palais des Champs-Elysées qui en prolongent la perspective, et c’est peut-être la première fois qu’une Exposition universelle laissera à Paris un souvenir qui vaille la peine d’être conservé.


Les journaux ministériels voudraient bien qu’on ne parlât pas