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siècle par intermittences, au profit de ses héritiers et de ses contrefacteurs. Des générations ont vécu, elles vivent encore dans l’hallucination de son souvenir ; du fond de son tombeau, il continue de susciter des Césars. Avant son avènement, en 1799, il était difficile à beaucoup de Français de concevoir le retour à l’ordre autrement que sous forme de restauration monarchique. Le royalisme faisait incontestablement des progrès ; tous les témoignages en conviennent. Les révoltés contre l’iniquité des lois, contre la conscription, contre l’impôt, crient tous : Vive le Roi ! c’est le cri d’opposition, sinon de conviction. Le Directoire s’aperçoit du danger ; à l’occasion de l’anniversaire du 48 fructidor, il lance une proclamation dirigée exclusivement contre le péril de droite. Faisant appel toujours aux sentimens bas, exploitant la peur, il dit, répète qu’une solidarité existe entre tous les Français ayant participé, à un degré quelconque, aux actes de la Révolution ; qu’ils seront tous exposés, en cas de réaction, aux mêmes vengeances raffinées et cruelles. Pour caractériser ces supplices, il cherche des mots forts, des expressions effrayantes, et l’insistance de son langage donne la mesure’ de ses craintes.

Faut-il en conclure que la France fut alors en majorité royaliste ? Tout au plus peut-on dire qu’elle eût accepté la royauté ; certainement, elle ne se fût pas levée pour la rétablir. En dehors de minorités acharnées, chez les royalistes même, chez ceux qui le sont d’inclination et de tendances, l’égoïsme individuel domine, l’esprit d’entreprise et de sacrifice manque totalement ; suivant le mot d’un général républicain, « le parti opposé ne ferait pas la dépense de trois francs pour opérer une réaction. » A Paris, pour toute entreprise violente, « il eût été impossible, sur six cent mille bienveillans, de réunir six coopérateurs. » Le peuple, sous le poids de ses maux et l’accablement de la défaite, demeure partout inerte et prostré. « Stagnation » des esprits, disparition du civisme, « abandon de la chose publique, » insouciance, apathie, torpeur, « sommeil léthargique, » voilà les mots qui reparaissent incessamment, comme une plainte invariable et monotone, dans les rapports d’agens. La masse subira les événemens et ne cherche plus à les faire ; incapable de vouloir et même d’espérer, tombée à une sorte d’hébétude, elle n’attend plus le salut de nulle part ni de personne. Pourtant, un être extraordinaire lui était récemment apparu, fulgurant météore, et avait fasciné les imaginations ; il avait rempli un instant le vide immense qui s’était fait dans la