Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/219

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

met aux prises Tommy et Massimo. L’un et l’autre, si l’on peut dire, y dépassent leur individualité, pour parler au nom des deux groupes que chacun représente. Et ici se dessine une ombre légère, — la seule qui, par instant, obscurcisse la claire lumière de la pièce : il arrive que Tommy nous semble plus vivant, plus réel que Massimo, alors qu’on préférerait que ce fût l’inverse. Massimo parle à merveille, est éloquent, a raison dans tout ce qu’il dit ; mais, devant nous, il ne se trouve point sur le terrain de son activité, qui est tout son caractère, et qui se développe en dehors de la comédie, dans son usine ou dans ses bureaux. Tandis qu’au contraire, Tommy nous apparaît dans son milieu, et les occasions ne lui manquent pas de se manifester bien directement ; il ment sous nos yeux, nous assistons à ses petits manèges avec sa belle-mère, nous voyons ses plaids, ses knickerbockers et sa raquette de tennis ; en un mot, il agit devant nous. — et quels discours, au théâtre, valent une action ! Massimo a tout l’héroïsme, mais c’est Tommy qui est le « héros » de la pièce, et qui fixe le mieux notre attention, pendant que notre sympathie est acquise à l’autre. Mais, après tout, n’est-ce pas là le défaut presque inévitable des « personnages supérieurs ? » L’auteur n’a pas toujours, dans son œuvre, l’occasion, ni même la possibilité de nous les montrer dans l’exercice de leur supériorité. Nous en sommes donc réduits à le croire sur parole, et nous aimerions mieux, pourtant, la voir s’affirmer dans l’enchaînement des scènes, que l’entendre dans les paroles seulement. L’écueil, ici, était inévitable : c’est dans une grève, dans un accident de travail que Massimo pourrait montrer ce qu’il vaut, — bien mieux à coup sûr qu’en apparaissant comme le sauveur d’une famille ruinée, qu’en discutant avec un mauvais sujet qui préfère le déshonneur à l’effort, et qu’en exposant ses idées sur la vie, quelque verve entraînante qu’il y mette d’ailleurs. La faute incombe aux conditions habituelles du théâtre bien plus qu’à M. Giacosa, qui a fait son possible pour y parer.

Et c’est une bien petite faute que ceux-là seuls remarqueront qui sont accoutumés, par profession, à s’inquiéter de la technique, à rechercher les dessous des œuvres littéraires. Bien qu’il n’ait pu nous donner une preuve directe, concrète, tangible de la supériorité de Massimo, M. Giacosa nous l’impose, quand ce ne serait que par le contraste de ses allures et de ses propos avec ceux des autres personnages. Nous croyons en lui, nous l’acceptons pour digne champion des vérités qui sont comme l’atmosphère de la pièce, et dont elle nous imprègne peu à peu.

Je serais par trop incomplet, si je ne louais encore l’art très personnel