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relations, faciles les plaisirs... » Et cela est vrai pour eux tous : Giulia elle-même, qui paraît basse et vilaine, qui sait ce qu’elle eût été, si... Seule, Nennele diffère des autres : pourquoi ? Peut-être parce que l’étoffe est meilleure, ou seulement parce qu’elle subit l’ascendant de l’homme qu’elle aime ? on ne sait pas : est-ce qu’on sait jamais ces choses-là, dans la vie ? Et Massimo lui-même, s’il est un homme d’énergie, c’est parce que, seul de bonne heure, il a dû lutter, se tremper dans l’effort, gravir un chemin difficile. Dans la pensée de M. Giacosa, les débiles seuls tourbillonnent « comme les feuilles » quand le vent les disperse. Mais si les autres résistent, d’où vient leur force ? « La volonté, » pense Tommy, qui d’ailleurs ne sait pas ce que c’est. Et la volonté, d’où vient-elle donc ?

Grosse question, qui a tourmenté bien des philosophes, dont les uns se servent pour repousser dans l’insoluble le problème du libre arbitre, et les autres pour le trancher. Et c’est la question même à laquelle répond M. Giacosa : non pas de façon péremptoire et dogmatique, comme le ferait un professeur de morale, mais par suggestion, par exemples concrets, comme peut le faire un homme qui sait la vie, et possède l’art de l’expliquer. La scolastique, la dialectique, la logique elle-même, qui d’habitude jouent un si grand rôle dans le débat, s’en trouvent ici écartées ; on ne discute pas, on ne raisonne pas, on n’échafaude aucun système savant et compliqué, on nous dit ou l’on nous suggère à peu près ceci :

La joie de vivre est dans l’exercice de la volonté. Ce monde appartient à ceux qui veulent ; vouloir, c’est posséder, non pas les richesses personnelles et stériles, mais le bien commun, fécond, où chacun peut puiser. Or, rien ne détend cette volonté comme la fortune oisive et jouisseuse, avec son cortège presque obligé d’élégances factices, d’amusemens illusoires, de dégoût désœuvré. En vérité, ceux qui sont élevés à cette école, où « tout est trop facile », sont dignes de pitié : leurs plaisirs sont nuls, ils ne savent pas même jouir des biens simples, seuls vrais, dont le pauvre parfois s’égaye ; le moindre souffle d’adversité qui passe sur eux les renverse ou les disperse comme les feuilles mortes ; ils ignorent la bienfaisante fatigue du travail ; ils en ont peur ; jamais ils ne connaîtront l’ivresse d’aucune victoire : car, incapables de lutter, ils sont incapables de vaincre, condamnés d’avance à la défaite aussitôt que leur paix est troublée ; et c’est à peine si de plus forts qu’eux, en intervenant, peuvent arrêter leur chute, quand ils tombent.

Tout cela se trouve exprimé, ou indiqué, dans la belle scène qui