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il prend de bonnes résolutions, il travaillera, il accepte une petite place. Mais on l’envoie surveiller les travaux d’un tunnel, où la fumée salit ses vêtemens blancs, — le blanc étant la seule couleur qu’on puisse porter l’été, — et, après vingt-quatre heures d’essai, il jette le manche après la cognée. De lui, ni de Giulia, rien à espérer : feuilles mortes, que le vent disperse quand elles se sont détachées de la branche qui les soutenait. Nennele en a bien vite le sentiment :

— Tout l’ensemble de notre vie a un air suspect, dit-elle à son frère, dont elle n’a pas encore compris la faiblesse, et sur qui elle voudrait s’appuyer. Il me semble que, chez nous, personne n’est à sa place. Notre père ne commande pas comme il le devrait... Notre belle-mère,… tu vois ! ... Toi-même, toi qui me plaisais tant à Milan...

— Ai-je changé ?

— Non. Et c’est justement cela. Tu n’as pas changé. Et ici... dans cette maison... avec notre vie... cela ne va plus... Je sens quelque chose qui s’effondre... Je ne sais pas dire...

— Je prendrai modèle sur Massimo.

De fait, Massimo, l’homme d’énergie, fait de son mieux pour empêcher cet effondrement que pressent Nennele. Mais que peut-il ? Tommy subit son ascendant, quand il lui parle, pour oublier, en le quittant, résolutions et promesses. Et il regarde avec tristesse couler bas ces naufragés qu’il a tenté de sauver. Un sentiment plus tendre se mêle à ses regrets : à voir Nennele si vaillante et si malheureuse, pleine d’une bonne volonté que son milieu paralyse, il s’est épris d’elle, comme elle de lui, bien qu’elle prenne toujours contre lui le parti des siens. Il voudrait les sauver, et sent combien il est difficile de se présenter en sauveur. Pourtant, le péril presse : Nennele en est réduite à surveiller sa belle-mère, dont le flirt devient inquiétant ; et c’est à lui qu’elle crie son angoisse :

« J’ai passé une semaine à faire l’odieux et stupide métier de chien de garde. J’ai fait cette ridicule chose. Te l’imagines-tu ? Une jeune fille de mon âge qui garde la vertu de sa belle-mère ! Tu t’étonnes que je parle ainsi ? Dois-je donc ignorer ? Ne rien voir ? Ah ! toutes savent et toutes voient ! Les comédies qu’on nous interdit au théâtre, nous les voyons à la maison, à la maison, à la maison ! Je m’étonne seulement qu’elles m’indignent encore. Dis la vérité : je te parais un petit être corrompu et grotesque. Ah ! quelle pitié ! quel dégoût ! ... »

Quant à Tommy, il a joué chez son étrangère ; il a perdu ; elle lui a prêté de l’argent ; il va l’épouser pour payer sa dette ; et, au moment où il vient de quitter ainsi la maison, c’est Massimo que Nennele trouve