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il aborda l’étude des caractères modernes, qui se poursuit à travers des péripéties moins éclatantes. Cette pièce, adaptée par M. Paul Alexis, a été représentée, il y a quelques années, sous le titre d’Une provinciale, au Vaudeville, où elle n’obtint qu’un succès douteux : peut-être parce que le titre, injustifié puisqu’il s’agit de personnages bien italiens qu’on ne peut pas « dénationaliser » en changeant leurs noms, déroutait le public. Elle est cependant d’une belle venue : je connais peu de scènes plus fortes que celle, qui résume toute l’œuvre, où des amans coupables se trahissent dans un mouvement d’honneur, et je ne crois pas qu’on ait jamais exprimé avec une émotion plus irrésistible le contraste d’un paisible intérieur bourgeois avec la fatalité de la passion qui l’envahit. Sans vouloir passer en revue l’œuvre complète de M. Giacosa, je citerai encore les Droits de l’âme : un acte court et tendu, dont le titre indique suffisamment le thème. On y pourrait relever quelques traces de l’influence d’Ibsen ; mais la pensée et l’art de M. Giacosa demeurent toujours d’une clarté toute latine, de même qu’ils ne conservent aucune trace de leur passage dans le romantisme.

Depuis les Droits de l’âme, c’est-à-dire depuis plusieurs années, M. Giacosa gardait le silence ; et l’on savait qu’il mûrissait lentement une œuvre où devaient s’affirmer à la fois ses qualités d’observateur habile à noter les détails réels de la vie, et de poète qui sait en relever le sens. Ceux qui ont suivi sa carrière et l’ont vu progresser sans cesse vers la vérité humaine se promettaient de le saluer, comme après une forte étape fournie avec lenteur et sûreté par un athlète de choix. Leur attente n’a point été déçue : et les plus difficiles, en fermant le volume, souscriront au jugement du public de la « première. » Comme les feuilles subit sans déchet la rude épreuve de la lecture, et nous apparaît comme une de ces œuvres heureuses et rares où se manifestent à leur plus haute puissance les dons les plus personnels d’un écrivain en pleine possession de son talent. C’est, de plus, une « chose nouvelle, » qui ne ressemble à nulle autre ni par le sujet, ni par la manière dont il est traité. Pris sur le vif de la réalité, les caractères ont en même temps une valeur représentative, sans que, pour la souligner, l’auteur ait besoin de recourir au symbole, et le sens général de l’œuvre se dégage, après le dénouement, avec autant d’ampleur que de netteté. Il n’y a pas une réplique, pas un mot inutiles ; souvent même, derrière les paroles dites, on en entend d’autres, inexprimées, qui vont plus loin. Et cette précision d’un art très savant me donne la crainte de gâter, en l’analysant, une pièce que son unité même rend difficile à résumer.