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qu’ont pris nos rêves ; rendez-nous les arbres familiers de notre vieille France, le portail ou aboutissent les lignes du labour, la tonnelle où le raisin, qui est né de la terre, semble descendre du ciel, les coteaux proches où l’on n’aperçoit pas vos palais mauresques, mais que l’imagination de chacun de nous peupla de ses châteaux en Espagne ! — Vous avez fait des toits pour les hommes du Soudan et vous en avez fait pour les hommes du moyen âge, et d’autres pour les compatriotes de Ménélick et d’autres pour les contemporains de Nicolas Flamel. Vous avez trouvé ce qui convenait à la vie d’un Hindou à Bénarës et ce qui convenait à celle de Diesbach à Berne. C’est fort bien et très intéressant. Maintenant, donnez-nous la seule chose que nous ayons besoin d’avoir : le toit pour les hommes de notre pays, de notre âge et de notre condition..., « chaume, tuile, ou roseau, » car ce que nous voyons ici c’est bon au pays <les sphinx et, ceci, c’est bon au pays des déserts, ceci est bon au pays des fièvres, ceci est bon au pays des glaces. Mais, nous autres, nous sommes en France, et c’est pour ce pays peut-être que vous auriez dû chercher d’abord comment on peut concilier les besoins de la vie moderne et la beauté.

Et si, par hasard, dans toutes ces tentatives modernistes, l’art n’a pas trouvé la beauté, c’est peut-être bien parce qu’il n’a cherché que le plaisir. Cet échec sera son châtiment pour avoir voulu faire d’une chose sacrée, qui est la maison, ce divertissement de dilettantes blasés, qui est la reconstitution d’un vieux Paris ou d’un village soudanais, d’avoir voulu, lorsque tant de masures malsaines déshonorent encore nos campagnes, faire des toits qui ne protègent pas de vies humaines, des foyers qui ne groupent pas d’enfans, des seuils où nulle main n’a reçu l’aumône, des fenêtres d’où nulle âme ne pleura un départ, ni n’attendit un retour... Ce sera le châtiment des artistes, pour avoir voulu faire de l’architecture sans but réel, sans formes utiles, ad pompam et ostentationem. Pour avoir cherché seulement de nouveaux plaisirs, il est arrivé qu’on n’a pas trouvé de nouvelle beauté, quand, peut-être, la considération de quelque chose de modeste et d’utile aurait conduit à quelque progrès esthétique. La beauté architecturale, dira-t-on, est une chose plus haute que l’utile. Oui, plus haute : c’est le couronnement de l’édifice. Mais on ne peut avoir le faîte sans les fondations. Il faut d’abord réaliser l’utile. On ne peut construire sur la beauté.