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une de ces journées où le vent a chassé les nuages du côté de l’Occident et où le soleil plonge dans un océan de cumulus, et vous verrez les nuages édifiant plus de palais au-dessus de l’horizon que n’ont fait au-dessous les architectes. Vous y verrez plus de minarets qu’autour de la Corne d’Or, plus de coupoles qu’à Odeypour, plus de gopuras et de dentelles de pierre qu’à Kombakonum ou à Chillambaram ! Il est vrai qu’un peu de vent fait crouler cette architecture de vapeurs. Mais, si ce n’est pas pour durer au delà d’une vie d’homme, à quoi bon durer plus qu’une vie d’éphémère ? Si ce n’est pas pour porter témoignage d’une génération à l’autre, à travers la mort, à quoi bon durer de la veille au lendemain, à travers la nuit ? La seule différence qu’il y ait entre la beauté du monument et celle d’un décor, c’est précisément que le monument doit être d’une beauté qui puisse se voir plusieurs fois, en plusieurs saisons, et se revoir de nouveau et toujours sans fatigue, puisqu’il doit durer toujours. Or, ces palais anciens ou lointains, on a tout fait pour les reconstituer, mais a-t-on fait quelque chose pour constituer la maison moderne ?

Et pourtant, autant que le pont et plus que le pont, la maison a changé.

La maison fut d’abord l’abri contre la nature et contre les êtres qui ne sont pas semblables à l’homme. C’est la période préhistorique. Puis ce fut l’abri : toujours contre la nature mais surtout contre l’homme. C’est la période des temps troublés dans l’antiquité et de tout le moyen âge. Enfin, au temps moderne, ce fut l’abri contre l’oubli, contre l’indifférence des passans et des successeurs. Ce fut le moyen de perpétuer la mémoire d’un grand, de l’homme assez grand et assez fort pour laisser de lui un moulage en pierres de taille : Versailles, le palais Pitti, l’Escurial. Car si les barrières du Louvre ne défendent pas les rois de la mort, elles les défendent cependant de cette seconde mort, qui est l’oubli.

En même temps, l’architecture domestique, qui tient essentiellement dans le toit et dans le mur, marquait, par la forme de son toit et de son mur, l’état du ciel et de la civilisation. Le toit protégeant l’homme contre le ciel, l’orage, la pluie, le soleil, la neige, s’abaissait et se relevait selon qu’il avait à rejeter la pluie fréquente ou à amortir le soleil accablant. Le mur, qui protégeait d’abord contre ces élémens, surtout contre le froid, le vent, le soleil,