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grands murs nus ou quadrillés de briques apparentes et cribles de fenêtres égales peuvent être tristes : ils ne sont pas irritans comme des façades de petits théâtres chargés de tous les désordres grecs ou de toutes les intempérances de l’Orient. On vivra tristement devant ces maisons simples, mais non dans la colère. Elles sont comme de longues plaines endormies sous les neiges, qu’aucun accident ne trouble, que nul ornement n’égaie. Mais elles ne sont pas de mauvais goût. Le mauvais goût ne se révèle qu’avec l’accident, l’ornement, la prétention architecturale. Le mauvais goût suppose l’exercice d’un goût. Le laid ne commence qu’avec la recherche du beau.

Quand vous passez devant un monument agressivement inesthétique, supprimez par la pensée tous les ornemens inutiles à sa solidité et indépendant de sa fonction, redressez toutes les courbes que rien ne suggère, abattez toutes les moulures que rien ne nécessite et le monument cessera d’être laid. Mais il ne deviendra pas nécessairement beau. En supprimant l’inutile, en serrant de près la logique de la construction, vous aurez certainement ôté la laideur. Mais vous n’aurez pas nécessairement conféré la beauté.

Donc, quand nous aurons reconnu que le fer est utile, qu’il est logique, qu’il est nouveau, qu’il est approprié à nos besoins et à notre état social, nous n’aurons pas montré qu’il conférera nécessairement à nos monuments quelque nouvelle beauté. Il faudrait encore qu’il eût certaines qualités que la raison perçoit moins clairement peut-être, mais que le sentiment goûte et que les yeux devinent. Car si le fer a soulevé jusqu’ici des protestations, ce n’était point tant des idées reçues qu’il froissait que des sensations pures. Il n’a nullement choqué les lois générales posées par les théoriciens de l’architecture. Ce qu’il a choqué dans ses manifestations prétentieuses — églises, dôme central, tours — c’est quelque chose de bien plus grave et de bien plus permanent : c’est notre goût.

De plus permanent, disons-nous ? — sans doute. Trop de discussions ont enrichi cette question pour qu’on puisse ici, et en passant, la traiter et la résoudre ! Mais il est facile, si l’on ouvre les yeux, de voir que de toutes les notions humaines, l’idée du beau est peut-être celle qui, depuis les jours de la Grèce, a fait le moins de progrès, mais en revanche a subi le moins de fluctuations ! Car combien plus souvent, en art, nous changeons de raisons