Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 159.djvu/192

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


II

L’espoir d’une architecture nouvelle que la pierre nous refuse, le fer nous le promet-il ? On s’en flatte d’ordinaire et l’on a écrit là-dessus de très belles pages. Jadis Boileau et Labrouste en donnèrent de fort bonnes raisons et de fort mauvais exemples. À cette opinion Viollet-le-Duc se rangea aussi. Depuis eux, cette idée s’est imposée à beaucoup d’excellens esprits, qu’une civilisation nouvelle, servie par de nouveaux matériaux, ne pouvait manquer de produire un style d’architecture nouveau. En fait, rien de bien neuf n’est apparu à nos yeux et, par exemple, dans toutes les courbes que donnait le fer pour soutenir un toit, — ce qui est la première fonction de l’architecture, — on retrouvait l’ogive surbaissée ou l’arc en anse de panier ou l’arc bombé ou parfois le plein cintre brisé : toutes formes que la pierre avait fortement exprimées pendant des centaines d’années. Cependant, la cause du fer mal servie par les œuvres, était admirablement défendue par les argumens. Comme les monumens les plus simples qu’on devait à son emploi dans les usages utiles de la vie paraissaient infiniment moins laids que nos prétentions architecturales ; comme la Galerie des machines de Paris ou l’Ames Building de Boston étaient moins offensans pour la vue que le Trocadéro, on en a tiré cette conclusion que le fer possédait par lui-même quelque vertu de « beauté abstraite et algébrique, » que, dans tous les cas, la« force du besoin » clairement manifestée était sans doute un principe de beauté.

C’était partir d’une observation très juste, mais mal approfondie, pour en tirer une déduction très contestable. Car, s’il est assez difficile, en architecture comme ailleurs en art, de déterminer quel est le vrai principe de beauté, il ne l’est pas d’apercevoir qu’il ne tient ni dans la force de l’algèbre, ni dans la force du besoin. On n’a jamais remarqué qu’une chose fût belle par cela seul qu’elle était nécessaire. Ce qu’on a remarqué, c’est qu’une chose née du besoin et neutre au point de vue esthétique devenait souvent laide, quand on la parait d’un ornement né de la fantaisie. Ce n’est pas la force du besoin qui est un principe de beauté : c’est la faiblesse du superflu qui est une raison de laideur. Là où le besoin se manifeste seul, il n’y a le plus souvent ni laideur, ni beauté. Il y a une sorte de neutralité esthétique. De