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froide de leur incomparable splendeur. L’influence des découvertes de M. et de Mme Dieulafoy, déjà signalée avec raison ici même, il y a dix ans, à l’occasion de l’Exposition de 1889[1], se fait plus que jamais sentir sur les frises des palais modernes, sur celles du Grand Palais des Champs-Elysées comme sur celles des Invalides.

Grâce à cette polychromie, nous apercevons moins clairement la déchéance et la pauvreté des lignes architecturales. L’ensemble de ces bâtisses est comme l’œuvre d’un mauvais dessinateur que vient fort à propos sauver la couleur d’un éclatant aquarelliste. Puisqu’en architecture, comme dans la culture des fleurs, nous avons perdu le sens et le goût des lignes simples et que nous ne savons plus aimer que les complications de l’orchidée, il est naturel que nous dissimulions l’absurdité de la ligne par l’éclat de la teinte, et que, subissant la tyrannie des fleurs et des architectures monstrueuses, nous les voulions au moins charnues et splendides.

Mais cette préoccupation, mieux que toutes les critiques, montre l’impuissance de nos architectes à imaginer une ligne nouvelle qui nous satisfasse. Leur soin de masquer sous le coloris leurs dessins révèle à quel point ils sentent eux-mêmes l’incohérence ou la banalité de ce dessin. Et enfin le prodigieux éclectisme des bâtisses nouvelles où s’entre-choquent l’arabe, le persan, l’hindou, le renaissant et le rococo, sans qu’aucun parvienne à dominer les autres est le plus complet aveu de notre infériorité créatrice. C’est une conciliation de tous les styles et non pas une synthèse ; c’est une juxtaposition, ce n’est pas une refonte. Il n’y a là aucun programme défini. C’est de l’esthétique de « concentration. »

Au contraire, dès qu’il ne s’agit plus d’innover, mais d’accommoder à quelque ensemble ancien une chose neuve, l’éclectisme n’égare plus nos architectes, mais les sert. Et, tandis qu’on doit s’étonner de ne trouver, dans les pâtisseries fantasmagoriques du Champ-de-Mars, aucune hardiesse féconde, on ne peut que s’applaudir si les palais de l’avenue Nicolas II respectent avant tout l’ensemble décoratif dont ils feront intégrante partie. Cet ensemble, c’est le Paris que nous connaissons, le Paris de la place de la Concorde, de l’Arc-de-Triomphe, de la Madeleine, du Louvre et des Invalides, le Paris de Gabriel, de Huyol, de Vignon,

  1. Vicomte E.-M. de Vogüé, Remarques sur l’Exposition du Centenaire.