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du moins de chanvre ou d’étoupe mêlés à du plâtre, c’est-à-dire de staff ; nids tressés de tiges de fer comme ce nid qu’on peut voir à Soleure, pays d’horlogers, et que les oiseaux ont entièrement construit avec des ressorts de montres. Et si le voyageur ailé, dont l’œil est si perçant et l’instinct si sûr, avait eu le loisir de philosopher sur cette rencontre, tandis que de tous côtés il voyait se remplir les vides de ces quadrillages et entendait des êtres noirs ou blancs accrochés à mi-hauteur des mâts de fer, comme des piverts à des troncs d’arbres, les percutant de coups sonores, il se serait demandé : Quelles sont donc toutes ces espèces si différentes d’oiseaux sans ailes, qui se réunissent pour nidifier en commun auprès des mêmes eaux ? Quels sont ces êtres étranges qui font leurs nids avec des arbres de fer ?

De ces deux prodiges, la foule admirera sans doute le plus visible, c’est-à-dire le premier. Elle trouvera entassés, pêle-mêle, comme des meubles sur un trottoir un jour de déménagement, toutes les architectures du monde. Lorsque Charlemagne faisait charrier les colonnes de porphyre et de mosaïque de Rome ou de Ravenne jusqu’au fond de la Germanie pour son palais d’Ingelheim, on criait sans doute au miracle. Nos architectes, eux, n’ont rien pillé. Ils n’ont dévalisé aucun peuple. Les corps de tous ces monumens, scandinaves ou byzantins, sont restés dans leur pays, mais ils se sont comme dédoublés. L’étranger qui débarque les voit réapparaître comme en un paradis. Il a laissé leurs corps de pierres dans la patrie : il retrouve à Paris leurs âmes de staff. Regardez-les. Que moindres étaient les merveilles dont Perrault, — je veux dire le conteur, — enchanta notre enfance ! Les fées avaient besoin d’une citrouille pour faire un carrosse d’or, c’est-à-dire d’un organisme compliqué et vivant, qui par lui-même avait déjà sa forme et, en quelque manière, sa beauté. Un peu de boue a suffi à ces palais et. pour les réaliser, il ne fut pas besoin de fées à la traîne d’azur, à la baguette d’or ; il a suffi de calepineurs à paletots noirs ou d’appareilleurs, tenant, à la main, de grands rouleaux de papier blanc. Et maintenant, combien de visiteurs, étrangers ou provinciaux, qui passent sous la porte triomphale, n’écriraient-ils pas volontiers ce que le roi des Indes dont parle la légende écrivit sur la porte de son Alhambra : « S’il est un paradis sur la terre, c’est ici, c’est ici ! »

L’autre prodige, moins visible, et cependant seul digne de nous arrêter, c’est l’armature fine, délicate et nouvelle de tous