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coup d’ailes, il aperçoit, aussi serrés les uns contre les autres que des chapeaux dans une foule, tous les toits que séparent d’ordinaire de longues journées de voyage à travers les climats changeans : chapeaux plats, chapeaux ronds, chapeaux de paille, casques d’or, pyramides à écailles de bois disposées pour le glissement des neiges ; terrasses faites pour goûter la fraîcheur des soirs, dômes d’Orient, piles d’abat-jour, toits relevés à leurs bouts comme des souliers à la poulaine, pigeonniers du moyen âge, taillis de couteaux du Soudan, tas de grosses bûches des toupas ou des isbas ; tous les jets des flèches et tous les bouillonnemens des coupoles, depuis la pomme byzantine jusqu’à la poire d’or moscovite ; toits faits comme des hunes ou des dunettes de navires, coniques comme des pommes de pin, ou bombés à peine comme des tortues, crêtes de chaume, paillottes, des d’ânes en bambous, boules traversées de lances qui assaillent le ciel, oiseaux d’or à deux têtes et presque sans ailes, immobiles comme des corbeaux sur les perches des meules ; coupoles gonflées et écrasées comme des figues, à deux renflemens comme des calebasses, ou bien étirées comme l’épi de maïs ; et encore toits imprévus d’un bleu tendre, brillans comme des cuillères et troués comme des écumoires ; et partout enfin, épuisant la cascade des courbes, et plus criblés de couleurs que les calcéolaires, des dômes moutonnant comme les dos d’un troupeau serré dans deux parcs carrés et sur les berges étroites d’une rivière, çà et là opprimés par l’énorme gonflement des toits de verre allongés comme des dos de cétacés, troupeau monstrueux, groupé, serré, tassé sous la houlette enrubannée haute de trois cents mètres... Voilà ce qu’un oiseau qui passe sur la ville peut voir aujourd’hui.

Mais, il y a quelques jours, ce qu’il eût aperçu eût été plus étrange encore. Au premier abord, en voyant la fourmilière des ouvriers s’acharner à ces constructions hémisphériques tout au bord de l’eau et avec des matériaux qui, de haut, ressemblaient beaucoup à de fines bûches, il eût pu les prendre pour un peuple de castors au travail. Au bout de quelques instans, à mieux considérer ces édifices, il les aurait crus construits par des oiseaux. On eût dit en effet des nids gigantesques posés sur les deux bords d’un ruisseau : nids fermés d’un inextricable fouillis de baguettes entremêlées avec une incomparable adresse, que peut seule surpasser celle du loriot «u de la rousserole ; nids feutrés sinon du coton des fleurs de peuplier, de toiles d’araignées ou de mousse,