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communes aspirations celtiques. Mais ici une première distinction est nécessaire : la solidarité qui tend à s’établir entre les Celtes de France et les Celtes de la Grande-Bretagne ne doit point faire illusion : c’est affaire de sentiment et de sentiment seul. En d’autres termes, les Celtes de France n’entendent être Celtes que comme les Basques ou les Flamands de France entendent être Flamands ou Basques, c’est-à-dire qu’autant que la conscience de leurs origines n’implique ni rupture ni relâchement du lien national. Français d’abord et, s’il est possible, Celtes ensuite : formule rassurante et qui concilie tout. De ce côté donc, aucune équivoque.

En va-t-il de même chez nos voisins ? Il n’y parait guère au premier coup d’œil. Mais, à regarder les choses plus attentivement, on ne voit point qu’en dehors de l’Irlande révolutionnaire (et qui n’est telle que par la férocité de la politique anglaise pendant deux siècles) les divers mouvemens nationalistes qu’on observe en Galles, en Écosse et même dans une fraction éclairée et prudente de la bourgeoisie irlandaise, soient un danger pour l’unité matérielle du Royaume-Uni. C’était du moins le sentiment de Gladstone, quand, invité à la Welsh national Eisteddfod de Wresham, il s’écriait : « Je vais vous dire une chose qui choquera peut-être quelques hommes, comment les appellerai-je ? des hommes qui s’intitulent à tout propos des hommes du XIXe siècle, et cette chose, la voici : à mon avis, le principe de nationalité, le principe de ce que je nommerai le patriotisme local, est une chose non seulement anoblissante en elle-même, mais grandement utile au point de vue matériel. » De l’avis du great old man cet attachement à la petite patrie ne pouvait être qu’ « un appel à l’énergie, un mobile pressant pour travailler à son progrès, » et il concluait en disant que « si la renaissance de l’idée de race, la reprise de nationalité qu’on remarque chez les peuples celtiques doit tendre au vigoureux développement de l’homme, doit le rendre plus homme qu’il ne pourrait l’être sans elle, ce n’est pas seulement au point de vue moral, mais aussi au point de vue économique, que ces peuples en tireront profit. »

Tant qu’elles étaient isolées, indifférentes ou même hostiles les unes aux autres, les aspirations nationalistes des différentes familles celtiques de la Grande-Bretagne n’avaient peut-être pas grand avenir. C’est à entretenir cet isolement que s’était attachée jusqu’ici la politique anglaise. Elle y avait d’autant moins de