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au fond de la conscience celtique, obscurément, confusément encore, c’est le sentiment de la race et des droits de cette race à la vie intégrale des races supérieures. Sous des devises différentes : Tra mor, ira Bryton ! Bepred ! Erin go bragh ! le même sentiment réapparaît chez les Irlandais, les Gallois et les Bretons, la même volonté de survivre, la même protestation contre la mort. Et c’est pourquoi on les voit si jaloux de préserver leur langue, de la garder contre les empiétemens des langues étrangères. Elle est la clef d’or, le magique sésame qui ouvre à deux battans les portes mystérieuses de l’avenir.

Reste à savoir si ce sont là des aspirations que doivent redouter également tous les pays où elles se produisent. Il faut remarquer tout d’abord la forme atténuée et discrète du régionalisme breton. Les régionalistes de Bretagne ne demandent point pour eux un régime privilégié ; ils poursuivent, à un autre bout du territoire, la même fin que les régionalistes du Midi et de l’Est. Leurs revendications ont un caractère purement objectif : l’effort même qu’ils tentent pour la préservation de leur langue ne saurait être considéré comme une atteinte aux droits du français. Il y a unanimité sur ce point chez tous ceux qui ont étudié de près notre système d’enseignement. Je n’en citerai d’autre preuve que ce passage d’un discours prononcé l’an passé au Congrès de la Ligue de l’Enseignement primaire par un ancien ministre, député du Morbihan. « Les instituteurs, disait M. Guieysse, n’ont pas toujours su le parti qu’ils pouvaient tirer d’une langue adaptée à l’esprit de la population et dans laquelle les enfans avaient commencé à penser. Ils ont cherché à la proscrire ; mieux vaudrait l’enseigner rationnellement quand cela est possible[1]… Il y a toujours un avantage réel à posséder deux langues, et les Bretons perdraient beaucoup de leurs qualités natives, de leur originalité d’esprit, si leur langue natale venait à disparaître. » Cette déclaration est d’autant plus significative qu’elle émane du leader de l’opinion radicale en Bretagne et qu’il n’apparaît pas que M. Guieysse partage le moins du monde sur les autres points les sentimens des régionalistes.

Il semble qu’on puisse concevoir des craintes plus justifiées au sujet de cette renaissance de l’idée de race qui est au fond des

  1. Comme on l’a fait observer justement, M. Guieysse est ici plus régionaliste que les régionalistes eux-mêmes : ceux-ci se contenteraient que le français fût enseigné dans les écoles par l’intermédiaire du breton.