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donner le Barzaz Breiz pour une œuvre authentique, quand il n’était que le produit de sa collaboration intime avec l’âme populaire. Telle quelle, l’œuvre était belle. Elle fut féconde aussi : c’est de sa méditation assidue que sortirent tous ces chanteurs, ces folkloristes, ces savans, Brizeux, Souvestre, Prosper Proux, Le Jean, l’abbé Guillôme, Mgr Le Joubioux, Luzel, Le Men, etc., dont on a dit qu’ils formaient comme un bataillon sacré autour de l’arche des traditions bretonnes. Et, pour ces deux derniers, s’ils se séparaient avec éclat du maître quelque temps plus tard et dénonçaient publiquement le caractère apocryphe du Barzaz, on ne voit point que leur foi poétique ait eu beaucoup à souffrir de leurs scrupules d’érudits. La semence était jetée d’ailleurs : les études celtiques refleurissaient de toutes parts et leur pollen invisible, par delà les marches bretonnes, par delà le pays de France, allait éveiller l’Allemagne de Zeuss, l’Italie de Nigra et d’Ascoli. Les premiers travaux de Zeuss remontent à 1853. C’est en 1870 seulement que M. Gaidoz fonda chez nous la Revue Celtique. Six ans plus tard, M. Gaidoz montait dans la chaire de celtique créée pour lui à l’école des Hautes-Études. Une autre chaire était fondée en 1882 au Collège de France et confiée à l’homme de ce temps qui fait le plus autorité en la matière, M. d’Arbois de Jubainville. L’impulsion que ce maître éminent donna aux études celtiques fut vraiment prodigieuse. Elle s’est traduite sous les formes les plus variées et notamment dans ce cours magistral de littérature celtique où ont pris place déjà la plupart des épopées irlandaises et galloises. Deux autres classes de celtique étaient ouvertes peu après, à Rennes et à Poitiers, pour MM. Loth et Ernault. Il n’apparaît point que Poitiers ait jamais été un centre bien florissant pour les études celtiques ; mais la présence de M. Loth dans une chaire, puis à la tête de la Faculté de Rennes, allait servir tout à la fois au relèvement des études savantes et à la cause du breton populaire. Les Annales de Bretagne furent fondées pour répondre au premier de ces objets[1]. Pour le second, M. Loth n’eut point à créer de toutes pièces un organisme qu’il trouvait sous sa main et qui n’était autre que l’Association Bretonne.

  1. Mais déjà M. Louis Tiercelin avait fondé à Rennes l’Hermine qui a pris une si grande part à la renaissance des lettres bretonnes. Il serait injuste de ne pas mentionner aussi la Revue de Bretagne et de Vendée et une nouvelle venue, le Clocher breton (Dr René Saïb), qui mènent le bon combat à côté et un peu au-dessous de l’Hermine.