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l’échine du caqueux. L’infortuné n’avait de cesse qu’il n’eût surpris en faute un autre camarade, auquel il passait le mortifiant « symbole [1]. » Du moins les prônes, la confession, le catéchisme, continuaient de se donner en breton ; une circulaire ministérielle, heureusement restée lettre morte (mais qui peut être reprise), décida en 1898 que l’usage de toute autre langue que la langue française était interdit en chaire. Pour tous nos gouvernans, depuis Napoléon, l’unification morale du pays apparaît comme étroitement dépendante de l’unification de la langue. Vue singulière ! C’est la partie française de la Bretagne (Ille-et-Yilaine, Loire-Inférieure) qui se réserve le plus jalousement ; partout ailleurs, les anciens cadres politiques sont rompus. Et cela suffirait pour ruiner la thèse. Mais, quand elle serait vraie, on ne comprendrait point qu’elle servît à colorer cette lutte contre une langue doublement vénérable par sa noblesse et son antiquité. Une statistique récente de M. Paul Sébillot porte à 1 229 000 le nombre des Bretons bretonnans du Finistère, des Côtes-du-Nord, du Morbihan et de la Loire-Inférieure, auxquels il faudrait joindre les Bretons de Trélazé, de Chantenay, du Havre, de Paris et de sa banlieue. Soit au total et à mon estimation personnelle l 330 000 Bretons bretonnans, sur lesquels 728 000 s’exprimeraient uniquement en breton. Une langue parlée couramment et dans tous les usages de la vie domestique et publique par une si forte communauté d’hommes ne peut être assimilée raisonnablement à un patois en décomposition. Cette langue a d’ailleurs une littérature à elle, un passé et un avenir. S’il ne reste presque rien, sauf des inscriptions et quelques textes épars, de l’ancien breton, le moyen armoricain est représenté par des chartres, des mystères, le Catholicon de Lagadeuc, etc., etc. Plus près de nous, avec le P. Grégoire de Rostrenen et Dom Le Pelletier, puis avec Le Brigand, La Tour d’Auvergne, Duigon (le père Système de Renan et de Michelet), Le Clec’h, Tanguy le jeune, etc., elle prend pied dans la science. Mais c’est à Le Gonidec qu’était réservé l’incontestable honneur d inaugurer chez nous les vraies études celtiques. Bientôt paraît le Barzaz Breiz de la Villemarqué, dont la publication soulève un enthousiasme comparable à celui qui accueillit l’Ossian de Macpherson. Le tort de M. de la Villemarqué fut de

  1. En Irlande, ce « symbole » s’appelait l’Irish note et consistait dans une planchette de bois quie l’instituteur, religieux ou laïque, pendait au cou de l’enfant qui était surpris parlant irlandais.