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IV

Une autre prophétie dit, il est vrai, que le signal de la rénovation partira du Llydaw, qui est le nom gaélique de la Bretagne armoricaine. Rattachée à la France en 1532, la Bretagne lui est restée fidèle aux pires jours de son histoire et, alors même qu’elle croisait le fer avec la Révolution, on peut dire qu’elle combattait une forme de gouvernement, mais qu’elle ne travaillait pas pour son indépendance personnelle. Jusqu’aux approches de cette Révolution, elle a gardé un semblant d’autonomie administrative. Après la Révolution, c’est fini de son statut et de ses privilèges ; elle rentre dans le droit commun. On lui impose l’artificielle division en départemens, qui semble plus propre à rompre les anciennes unités historiques, qui bouleverse les diocèses, mêle les intérêts, les dialectes, coud l’une à l’autre les régions les plus disparates. Le Morbihan et les Côtes-du-Nord, par exemple, fabriqués ainsi de pièces et de morceaux, semblent un vrai défi au bon sens. Les administrateurs sont choisis exclusivement parmi les personnes étrangères à la Bretagne, et cela s’explique pour les hauts représentans du pouvoir central et s’entend beaucoup moins pour les receveurs de l’enregistrement ou les percepteurs des contributions qui ont directement affaire au menu peuple et devraient pouvoir lui parler sa langue. Mais il faut que les évêques eux-mêmes soient ignorans de cette langue. Présentement un seul évêque parle et écrit le breton, et il occupe le siège de Moulins. Longtemps on prend soin que la conscription disperse aux extrémités du pays les Bretons qui ne connaissent que leur langue. C’est cette langue qui est l’ennemi et qu’il importe de saper d’abord : aucun mot breton ne doit être prononcé dans les écoles primaires, même pour les explications orales. Les inspecteurs primaires répriment énergiquement toute tentative de ce genre. Chose incroyable, le clergé, au début, leur donne la main, les imite docilement, quand il ne raffine pas sur les mesures de répression. J’ai le souvenir très net de ce qui se passait vers 1872 à l’école des frères de Lannion : qui était surpris prononçant un mot breton connaissait les affres des anciens lépreux ; il était retranché de la communauté scolaire ; il lui fallait accepter, bon gré mal gré, un jeton de cuivre ou de plomb nommé « symbole » ot qui lui était aussi lourd que la tartarelle de drap jaune à