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l’esprit même de ses statuts, qu’un des articles du programme nationaliste. La Ligue gaélique, fondée en 1893, se proposa tout ensemble « de relever la nationalité et la langue de l’Irlande. » Voyant elle aussi dans cette langue « la plus sûre arme de salut contre les Saxons, » cette ligue, qui avait pour organe le journal Fainne an Lae (Foi et Loi) et la revue Amclaidheamh soluis (le Glaive de la lumière), commença par créer des comités de propagande dans la plupart des villes du pays et parmi les Irlandais d’Amérique. À Dublin même et sous son influence, les jeunes gens des meilleures familles se firent un point d’honneur de ne plus parler entre eux qu’en gaélique. Mais la restauration de la langue n’était ici qu’un moyen, non un but. Comme le disent les promoteurs du mouvement, c’est bien à un essai de « désanglicisation sous toutes ses formes » que la ligue conviait ses adhérens. M. Fournier d’Albe affirme que « cet essai de désanglicisation, secondé par un vivant esprit national, marche en Irlande d’une allure faite pour étonner quiconque ignore l’influence supérieure qu’exercent sur le tempérament irlandais des idées puissantes, surtout si elles sont en apparence impraticables. »

Il serait à souhaiter, pour qu’on pût contrôler ces affirmations enthousiastes, qu’une statistique vraiment précise des personnes parlant actuellement le gaélique fût dressée d’abord par la Ligue. À l’estimation de M. Ravenstein, l’Irlande comptait il y a quelques années 817 574 personnes parlant le gaélique, dont 403 560 ne parlant et ne comprenant que cette langue. Mais, d’après la statistique publiée par M. David Fagan dans l’Irish Daily Independent du 28 mars 1894, il faudrait ramener ces chiffres à 787 500 et à 66 140. Enfin la carte toute récente dressée par M. Fournier d^Albe n’indique plus que 680 000 Irlandais parlant le gaélique. Qui a raison, de MM. Raveinstein, Fagan ou Fournier d’Albe ? Tous trois peut-être, puisque leurs statistiques portent sur des années différentes. Du moins sont-elles d’accord pour constater que c’est dans les comtés de Cork, de Mayo, de Kerry, de Donegal, de Clara et de Waterford que le gaélique est le plus parlé. Je n’oserais croire malgré tout qu’il y puisse gagner du terrain ; mais ce sera beaucoup s’il y maintient ses positions. Les promoteurs du Congrès panceltique espèrent davantage et je reconnais qu’ils sont mieux placés que nous pour en juger. La présence à leur tête d’un descendant des anciens rois d’Irlande, lord Castletown, de son nom gaélique Mac Giolla Phadruig, prince d’Ossory,