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puissance de redressement dans les races celtiques que la chimère de la veille devient souvent chez elles la vérité du lendemain.

L’effort serait sensiblement plus aisé et trouverait un point d’appui plus solide chez les Manx. Mais les Manx n’ont-ils pas atteint dès maintenant au stade suprême de leur développement politique et ne jouissent-ils pas d’une autonomie presque absolue ? Ils le doivent sans doute à leur petit nombre et à la faible étendue de leur territoire qui est de 588 kilomètres carrés. La population, qui n’atteignait point 15 000 habitans au début du siècle, avait monté, en 1891, à 55 608 habitans. Quoique rattachée de nom à l’empire britannique, Man garda longtemps ses suzerains particuliers : le gouvernement l’acheta en 1765 au duc d’Athol. L’île changea de maîtres et non de régime. En fait, elle ne relève de la couronne que par un gouverneur général nommé et appointé par la Reine. Mais l’antique royaume du dieu gaël Manannan a toujours son parlement spécial, sa Court of Tynwald, formée par la réunion de la Chambre haute et de la House of Keys (littéralement Chambre des clefs). Cette cour est souveraine. Ses décisions sont promulguées, comme autrefois, en vieux manx, devant le peuple, sur la colline sacrée de Tynwald ; il suffit que le gouvernement anglais leur ait donné sa sanction. Les vingt-quatre députés qui font partie de la House of Keys sont élus par les propriétaires et les tenanciers de l’île, — sans distinction de sexe (depuis 1880).

On voit que le home-rule, si obstinément poursuivi par l’Irlande et le pays de Galles et que commence à solliciter aussi la basse-Écosse, est une réalité déjà ancienne chez les Manx. Fort jaloux de ses privilèges et des souvenirs de son passé national, on concevrait mal pourtant que cet original petit peuple, qui a su obtenir pour son Église des canons à part et qui montre avec orgueil les nombreux monumens druidiques et runiques qui hérissent ses âpres promontoires, n’ait pas témoigné pour sa langue un respect plus attentif. Cette langue, qui dérive, comme l’écossais et le gallois, de la branche irlandaise, est parlée seulement par 5 ou 6 000 habitans[1]. Mais il faut tenir compte que

  1. Je prends une moyenne. Le chiffre donné par M. Ravenstein est beaucoup plus élevé : 12 345. Sur ces 12 345 Manx parlant le gaélique, 190 seulement parleraient et comprendraient le seul gaélique ; le reste parlerait et comprendrait le gaélique et l’anglais. Mais, sur la carte dressée par M. Fournier d’Albe, le chiffre a singulièrement baissé : il n’est plus que de 3 000 habitans parlant le gaélique.