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apport et faisant dans une certaine mesure les fonds de l’entreprise ; ce syndicat financier pour l’organisation de la dictature se transformera un peu plus tard en une officielle et imposante institution : la Banque de France.

Les grosses fortunes avaient été terrorisées, exaspérées par l’emprunt forcé, plutôt que réellement écornées. Les vraies victimes furent les gens de moyenne et de petite aisance. Le poids de la taxe tomba lourdement sur eux, et de plus ils en subirent le contre-coup de façon cruelle. Comme la haute industrie réduisait ses productions, les négocians, qui s’étaient un peu refaits depuis quelques années, ne trouvèrent plus à s’achalander qu’à des prix exorbitans ; la consommation diminuant d’autre part, ils ne trouvèrent plus à écouler leurs marchandises ; la faillite s’ensuivit ; ils furent ruinés et ruinèrent leurs créanciers. Au lendemain du 18 brumaire, le Moniteur constatera que la classe des négocians est particulièrement dans la joie ; le fait se conçoit, les négocians ayant affreusement souffert sous le Directoire expirant.

Durant la même période, les petits fabricans, ceux qui confectionnaient des objets de luxe ou simplement de confort, virent leurs commandes tomber à rien ; un ébéniste du faubourg Saint-Antoine disait : « Ils ne m’ont taxé qu’à 300 francs, mais ils m’ont fait perdre pour 27 000 francs de commandes en effarouchant mes pratiques. » Les ouvriers en boutique, renvoyés par leurs patrons, furent jetés sur le pavé avec les bandes innombrables de travailleurs que les manufactures cessaient d’employer. La détresse se généralisa ; la loi avait prétendu mettre les riches à la diète ; elle enlevait aux pauvres leur gagne-pain. Toutes les villes qui avaient conservé un reste d’industrie, tous les centres de production parurent frappés de mort. A Lille, les ouvriers, n’ayant plus de quoi manger, demandaient à s’enrôler et à partir pour la frontière. A Lyon, ville d’initiative et de sens pratique, on vit un phénomène extrêmement remarquable : le pauvre, instruit par une expérience brutale, reconnaissant sa solidarité d’intérêts avec le riche ; l’ouvrier venant au secours du capital, afin que celui-ci continuât d’employer ses bras et de le faire vivre.

« Tous ceux de nos concitoyens qui se trouvaient atteints par l’emprunt de 100 millions, — disent le 2 vendémiaire les correspondances de Lyon, — se sont réunis et ont formé entre eux une espèce de jury répartiteur. Ils se sont arrangés de sorte que,