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de production. Ceux des collectivistes matérialistes qui proscrivent l’épargne, qui veulent même, selon le mot de M. Lafargue, « obliger à la consommation immédiate, » devraient proscrire aussi le souvenir, la tradition, l’éducation, la science. Le vrai capital est le produit concret d’un travail antérieur, il n’est pas une simple « matière informe, » mais une matière déjà informée et transformée ; c’est lui qui est vraiment du « travail congelé, » surtout de l’invention congelée et de l’intelligence cristallisée.

Mais tel est le matérialisme systématique de certains collectivistes, que, dans leurs calculs, ils ne tiennent aucun compte des valeurs d’origine intellectuelle et s’efforcent de persuader aux travailleurs qu’ils sont volés par ceux qu’on ne voit pas actuellement travailler comme eux de leurs mains. La « plus-value, » qu’ils prétendent toujours prélevée sur les ouvriers par tout le capital, constituerait, à les en croire, une nouvelle « corvée, » plus dure que celle du moyen âge. Un des chefs du matérialisme économique l’estime à six heures six minutes (exactement !) sur douze heures de travail ; car, dit-il, sur 7 milliards 430 millions de production en France, il y a 4 milliards 941 millions de matières premières et 191 millions de combustible ; reste un milliard 994, dont 980 millions au travail, un milliard au capital comme profit du « surtravail » et de la « plus-value. » Ainsi, selon ces calculs, tout le travail est d’un côté ; de l’autre, on dort sur des sacs d’argent. L’inventeur, les bailleurs de fonds, qui ont eu confiance en lui, le directeur de l’entreprise, tous les chefs qui le secondent, les bâtimens, les machines, l’entretien de l’outillage, son amélioration, les frais généraux, la correspondance, les assurances, les courtages, les risques de toutes sortes, les pertes par non-valeurs, par faillites d’autres commerçans ou industriels, par fluctuations imprévues du marché, par chômage, etc., etc. ; rien de tout cela n’entre en ligne de compte ; chefs d’entreprise, inventeurs, prêteurs d’argent à leurs risques et périls, ingénieurs, directeurs, commerçans sont tous des spoliateurs, car ils dépouillent honteusement l’ouvrier d’une portion de 6 heures 6 minutes sur 12 heures, soit 366 minutes par jour, lesquelles deviennent la propriété de tous ces dormeurs dont on ne voit pas s’agiter les bras et les jambes en un bon labeur manuel. A ceux qui dédaignent ainsi, sous le nom vague de capital, entrepreneurs, directeurs, commerçans et financiers, on a répondu avec raison : — Suffit-il donc d’occuper des ouvriers