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instrumens nouveaux de puissance créés par la science, d’apprendre à les connaître eux-mêmes plus ou moins scientifiquement dans leurs intimes ressorts, dans leurs ressources cachées, dans leurs lois secrètes, dans leurs effets visibles et surtout invisibles.

Le grand rénovateur, par cela même le grand émancipateur, c’est le travail mental. La machine prend pour soi le travail musculaire, et laisse à l’ouvrier une occupation de plus en plus intellectuelle. La France dispose de plus de cinq millions de chevaux- vapeur, qui accomplissent la tâche de 105 millions d’hommes ; comme il y a moins de 10 millions d’ouvriers adultes, tout ouvrier français a ainsi sous sa domination une douzaine d’ouvriers qu’il fait travailler et dont il est le directeur intelligent.

Sismondi, puis Marx, ont fait la critique des machines et de leur action sur l’ouvrier, qui, selon eux, serait changé lui-même en une simple machine mettant les autres en mouvement. Ils ont jugé sur les premiers effets du « machinisme » et sur la crise momentanée qui en résulta. Aujourd’hui, on reconnaît que l’ouvrier, loin d’être «une machine devant une autre machine, » est de plus en plus obligé de suivre la machine dans sa complexité et dans ses perfectionnemens. Par ce nouvel ordre de choses, « son intelligence a été adaptée pour un autre but ; elle n’est pas supprimée, tant s’en faut. » Le machinisme moderne exige de l’ouvrier une surveillance qui implique des connaissances générales et une plus grande étendue d’intelligence. L’ouvrier tend à « une spécialisation moins étroite que ne l’était celle de l’ouvrier d’autrefois usant des outils primitifs. » L’avenir exigera, pour l’industrie et l’agriculture, des travailleurs de plus en plus adroits, intelligens, instruits et attentifs. Si le siècle de la vapeur a causé de déplorables maux aux ouvriers entassés dans les usines, le siècle de l’électricité, qui verra la distribution de la force motrice, lumineuse et calorifique dans les plus humbles demeures, pourra rendre le travailleur au foyer : la science aura pansé les blessures qu’elle avait faites.

Une autre loi qui se manifeste dans la société, c’est l’amélioration progressive, par le travail mental, de la condition sociale des travailleurs manuels. En effet, par cela même que le travail mental tend à prédominer au sein même du travail industriel, il apporte avec lui, chez l’ouvrier, « des besoins nouveaux, élémens nécessaires d’une condition plus élevée, plus complexe. » Les besoins d’en haut se propagent peu à peu jusqu’en bas, en