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maximes pédagogiques[1]. » De la paternité, il ne repousse ni aucune des joies, ni aucun des menus tracas : « Jeanne, qui repose encore entre les bras du lieutenant Morphée, t’aura écrit ce qui m’attend : le garçon beuglant en majeur, la fille en mineur, deux marmots chantant au milieu de langes trempés, et moi m’occupant de tout en bon père de famille[2]. » Il a sa théorie chrétienne de la famille, ainsi que sa théorie chrétienne de l’Etat : pour Bismarck, la famille, ainsi que l’Etat, est d’ordre divin ; Dieu a voulu qu’elle eût sa hiérarchie naturelle, dont l’homme, l’époux, le père, ainsi que le roi dans l’Etat, est le chef mer la grâce de Dieu. A M"* d’Arnim : « Je t’écris une lettre officielle de congratulation pour ta fête, qui est, je pense la vingt-quatrième (je n’en dis pas davantage). Tu es à présent majeure de fait, ou tu le serais, si tu n’avais le bonheur d’appartenir au sexe féminin, dont les membres, de l’avis des juristes eux-mêmes, ne sortent jamais de la condition de mineures, même quand elles sont mariées à d’épais imbéciles. Je t’expliquerai pourquoi, malgré son apparente injustice, c’est une très sage institution[3]. »

Au fond de cette conception de la famille, ainsi qu’au fond de cette conception de l’Etat, se retrouve la marque d’une ambition ou d’un égoïsme supérieurs : de son petit monde, autant que du vaste monde, Bismarck entend être le Moi central ; il veut avoir à Schœnhausen ou à Varzin son microcosme, image de l’univers, soumis et adulant son maître. Plus certainement encore qu’il n’aime, il veut être aimé. Lui, dans la solitude, avec beaucoup d’amour autour de lui : — « Ich bin verwöhnt mit viel Liebe um mich[4], » — comme un grand sphinx parmi les sables inondés de soleil et d’où monte une vapeur d’encens. En cette solitude, il ne saurait supporter d’être seul : « Où donc ai-je entendu ce chant qui aujourd’hui tinte constamment à mon oreille : Over the blue mountain, — over the white sea-foam, — come thou, beloved one, — come to thy lonely home ? (Par-dessus la montagne bleue, par-dessus le brouillard blanchâtre de la mer, viens, ô toi, ma bien-aimée, viens rejoindre ton foyer solitaire ! Je ne sais plus qui peut bien m’avoir chanté cela pour la première fois, in old long

  1. A Mme d’Arnim. De Francfort, 28 juin 1854. — Voyez A. Proust, Le prince de Bismarck, sa correspondance, p. 72.
  2. A la même. De Schœnhausen, 28 juillet 1850. — Ibid., p. 72.
  3. A la même. — Ibid., p. 72.
  4. Il écrivait cela dès 1851. — Voyez Charles Andler, Le prince de Bismarck, p. 11.