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je n’eusse pas commis, en dehors de ce que le monde connaît, d’autres péchés que celui que l’on m’a reproché ! Ceux qui me traitent d’homme d’Etat sans conscience sont bien osés : ils devraient d’abord essayer eux-mêmes leur conscience sur ce champ de bataille… Malgré tout, si j’avais pesé, au moment du : « Ne bougeons plus ! » le chagrin que cette plaisanterie allait causera beaucoup d’amis véritables, je me serais retiré hors du champ de l’objectif braqué sur nous… Mais j’attends de votre amitié et de votre charité en Jésus-Christ que vous recommandiez à ceux qui me jugent de montrer à l’avenir quelque circonspection et quelque indulgence, car nous en avons tous besoin[1]. »

Cette prétendue « aventure, » lui-même, en l’avouant, la réduit à sa juste mesure : un badinage ; et quant à certaines accusations, à certaines insinuations, qui, aux jours de lutte violente, coururent dans la basse presse, il n’est pas besoin d’y regarder à deux fois pour s’apercevoir que ce n’est qu’un tissu d’inepties[2]. Les femmes tiennent peu de place dans l’histoire d’un homme comme Bismarck, et ce peu de place est pris entièrement et pour jamais par sa femme. C’est un chaste, et là encore est, non pas tout le secret, mais un des secrets de sa force. Sa sentimentalité, — car il faut bien que nous touchions cette contradiction entre les deux Bismarck, et lui qui rejette loin de la politique toute sentimentalité est néanmoins, sous un autre aspect, un sentimental, — sa sentimentalité n’est pas diffuse, mais concentrée sur un unique objet ; elle n’est pas galante, et ne papillonne pas ; mais, au contraire, elle a on ne sait quoi de grave et comme de repenti. On serait tenté de dire, parodiant le vers fameux, qu’elle est « nuptiale, auguste et solennelle. » Il est une page du chancelier que je ne puis m’empêcher de citer sans en retrancher une ligne, d’abord parce que c’est la plus belle que je connaisse de lui, ensuite et surtout parce que, de « sa perception distincte et rapide », traversant vite le fait et l’homme, il y regarde et il y découvre jusqu’au fond de son âme :

« Avant-hier, j’ai été dans l’après-midi chez ***, à Wiesbaden, et j’y ai contemplé avec un mélange de mélancolie et de sagesse

  1. A M. André de Roman. De Berlin, 26 décembre 1865. — Voyez A. Proust, Le prince de Bismarck, sa correspondance, p. 200. — Adolphe Kohut, Bismarck et les femmes, p. 231-232. — Cf. Julian Klaczko, Deux Chanceliers.
  2. Voyez Maurice Busch, Le comte de Bismarck et sa suite, p. 231, vendredi 11 novembre.