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auriculaire de ma femme. Wagner doit savoir encore comment ils étaient et combien ils ont coûté. Je les voudrais autant que possible pareils aux anciens : monture simple, dans le genre de la tienne. Je me résignerai volontiers à les payer, s’il le faut, un peu plus cher que ceux de l’an dernier. L’équilibre de mon budget ne tient pas à une centaine de thalers en plus ou en moins[1]. »

Mais l’affection, les attentions conjugales de Bismarck ne se bornent pas à la commémoration en quelque sorte mécanique des anniversaires heureux. Sa tendresse, — oui, la tendresse de ce dur Landgrave, et c’est à dessein que j’écris trois fois un mot qui semblait n’être point fait pour un tel homme, — sa tendresse n’est pas seulement dans son calendrier : il en a la tête et le cœur tout pleins ; mais oui, le cœur, et c’est encore un mot qui, à la première rencontre, détonne dans un portrait du prince, et qui pourtant est le mot fondamental de la langue parlée par le Bismarck intime, et qui sans cesse reviendra.

« Mon cœur aimé, soupire-t-il à sa femme, Mein geliebtes Herz[2]. » Et voici ce qui éveille en lui ce murmure de syllabes caressantes : — Vienne, 11 juin 1852 : « Je ne me plais pas ici, comme dit Schenk. Et cependant, il y faisait si bon, en l’an 1847, avec toi !… Hier, j’ai été à Schœnbrunn, et j’ai songé à notre aventureuse expédition par le clair de lune, à la vue des haies gigantesques et des statues blanches blotties dans les verts bosquets. J’ai visité aussi le petit jardin privé, où nous sommes arrivés d’abord. C’est un fruit défendu, à tel point que la sentinelle qui fait faction à la porte ne permet même pas au curieux de jeter du dehors un regard indiscret[3]. » Le doux souvenir n’est vieux alors que de cinq ans, mais on le retrouve, dans une autre lettre, vieux de dix-sept ans, et aussi vif, aussi frais, aussi jeune. — Schœnbrunn, 20 août 1864 : « Par une singulière coïncidence, mon cher cœur, j’habite à présent les appartemens du rez-de-chaussée, qui sont contigus au jardin réservé dans lequel, il y a juste dix-sept ans, nous nous sommes introduits par un beau

  1. A Mme de Bismarck, 14-26 mars 1861. — Voyez A. Proust, Le Prince de Bismarck, sa correspondance, p. 137.
  2. Voyez Schœhausen und die Familie von Bismarck, bearbeitet im Auflrage der Familie von Dr Georg Schmidt, 1 vol. in-8o. Berlin, 1897 ; Mittler und Sohn. — C’est surtout un recueil de recherches historiques sur l’histoire de la famille de Bismarck, mais les deux derniers chapitres contiennent sur le prince lui-même et sur son entourage des renseignemens intéressans et d’un caractère authentique.
  3. A Mme de Bismarck. De Vienne, 11 Juin 1852. — Voyez A. Proust, p. 54.