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un peu différente. L’empereur Guillaume ne serait sans doute pas fâché que la France et la Russie s’engageassent dans une voie où elles soulèveraient contre elles le mécontentement de l’Angleterre ; mais, quant à lui, il s’abstient prudemment d’y faire un pas, se contentant d’engager les autres à se montrer moins timorés. C’est une chose qu’il voudrait bien voir, — suave mari magno..., — à la condition de ne pas y participer. Toutefois les journaux allemands, aussitôt que l’arrangement anglo-portugais a été connu, ont jeté feu et flammes, et ils ont même, à la manière germanique, publié sur la matière de très savantes consultations de jurisconsultes. Ils ont parlé aussi, sans doute parce qu’on leur avait promis de la leur communiquer, de divulguer la convention anglo-allemande de 1898. Combien nous serions curieux de la lire ! Mais nous craignons que cette promesse ou cette menace ne soit pas suivie du moindre effet. Il est sûr que ladite convention perd de son intérêt pour l’Angleterre, si celle-ci a un autre moyen de disposer du territoire portugais et des voies de communication, soit fluviales, soit terrestres, qui lui offriraient sur ce territoire, en ce moment surtout, de si grandes commodités. Elle invoque, paraît-il, l’article 12 d’une convention du 11 juin 1891, qu’elle a passée avec le Portugal. En voici le texte : « La navigation du Zambèze et du Chiré, sans excepter aucune de leurs branches et de leurs embouchures, sera ouverte aux bâtimens de toutes les nations. Le gouvernement portugais s’engage à permettre et à faciliter le transit de toutes personnes et des marchandises de toute espèce par les cours d’eau du Zambèze, du Chiré, du Pongwé, du Bonsi, du Limpopo et du Sabi, et de leurs tributaires, et aussi sur les voies de terre qui servent de moyens de communication là où ces cours d’eau ne sont pas navigables. » Les passages que nous écrivons en italiques sont ceux sur lesquels s’appuie la prétention du cabinet de Londres, prétention inadmissible s’il n’y a pas d’autre arrangement tenu secret entre l’Angleterre et le Portugal. Il est évident, en effet, — et cela résulte plus clairement encore de l’ensemble de la convention de 1891, — que le caractère de cette pièce est exclusivement commercial, et que c’est par un véritable abus des mots que par : « toutes personnes, » on peut entendre des hommes armés, et par : a marchandises de toutes sortes, » des canons, des munitions, des vivres militaires, etc. Que la convention de 1891 ne s’applique pas au cas actuel, rien n’est moins douteux. Mais quoi ! l’Angleterre est forte, le Portugal est faible : est-ce que cela ne suffit pas ? Le Portugal est-il en situation de résister à ce qu’on exige de lui ? Peut-il même y songer,