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fut, tout simplement, l’ouverture d’Obéron, cet épilogue obligé et négligé de tant de concerts, qui se joue pendant la sortie, au bruit des fauteuils relevés et des manteaux revêtus. Pour la première fois depuis longtemps la musique de Weber parut ou reparut ce qu’elle est réellement : un mélange éblouissant d’action et de rêve, de passion et de féerie. Ici comme partout ailleurs M. Weingartner a tout assoupli, tout dilaté, tout inondé de lumière. Il a laissé respirer, chanter largement la mélodie centrale. Il a comme dénoué et jeté en écharpe le brillant appel de Rezia, que trop souvent on serre et on écrase. J’aime ces rémissions ou ces détentes, à peine perceptibles mais efficaces, mais décisives. C’est elles qui rompent la contrainte et la rigueur, qui donnent à la musique le modelé, la vie, et qui dans l’ordre et la discipline introduisent le sentiment de l’aisance et de la liberté. J’aime aussi qu’un chef d’orchestre « conduise » par cœur. M. Weingartner n’y manque pas. Comme ses compatriotes, il n’a sur son pupitre, au lieu de la partition, que le programme du concert. Cela encore le fait plus libre d’esprit, de corps et d’âme. Il se baigne, il se meut dans la musique, ainsi qu’un nageur dans l’eau profonde. Et la musique est à la fois autour de lui et en lui, car elle emplit de rythmes et de mélodies, d’harmonies et de timbres, sa mémoire multiple et comme à plusieurs degrés.

En regardant, en écoutant ce grand interprète allemand des grandes œuvres allemandes, ce n’est pas seulement la musique, mais en quelque sorte la musicalité de sa race qui s’impose à nous et nous confond. Il évoque devant nous, pour ainsi dire, l’Allemagne tout entière sonore. Il nous rappelle le génie de ce peuple et son travail, sa nature et sa volonté. Nous nous disons que là-bas ils sont tous musiciens, que tous ils comprennent et qu’ils aiment tous. Nous songeons à leurs festivals et à leurs conservatoires, au programme de leurs universités, au répertoire de leurs théâtres et de leurs concerts, à leur pratique, nationale et populaire, d’un art qu’ils mêlent tous à toute leur vie. Et alors, auprès de ce qu’ils font de musique et pour la musique, il semble que ce que nous faisons nous-mêmes ne soit que jeux de petits enfans.

Camille Bellaigue.