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nous surprend et nous trouble comme un frisson nouveau. La beauté de ce moment s’accroît de notre attente et nous en jouissons plus vivement, l’ayant plus ardemment souhaité. Les cordes ne chantent même pas encore : elles bruissent tout bas ; on dirait que l’orchestre s’éveille et s’étonne de s’éveiller. Mais bientôt il se meut, il s’agite. Ce souffle, dont il tremblait à peine, le secoue et l’ébranlé tout entier. Les cordes vibrent et crient à se rompre, quand soudain, au milieu de la rafale sonore, éclatent les cuivres sauvages et hurlans de joie. Alors, c’est comme si Wagner, pour la première fois, recevait la révélation et la commotion de l’orchestre. Non pas encore de son orchestre à lui, tel qu’un jour il le fera. L’orchestre ici n’est pas tout : il ne domine pas, il ne développe pas non plus, il accompagne ; prodigieusement sonore, il n’est que les instrumens, sans être la symphonie. Il est l’orchestre pourtant, avec sa fougue et sa furie ; il est la matière animée, la force colossale, et brusquement apparue. Wagner la découvre et s’en empare. Il sent qu’elle sera sienne, ou plutôt qu’elle sera lui. Que dis-je, elle est lui déjà. Ce n’est pas tout : cette force devenue son être, il la connaît aussitôt et d’avance il la comprend tout entière. Enfin il l’aime autant qu’il la connaît, il l’aime éperdument ; elle le ravit, elle l’enivre, et dans cette trinité de l’être, de la connaissance et de l’amour, il y a quelque chose de divin. Voilà comment le génie de Wagner, à la fin de cette œuvre de jeunesse, apparaît en puissance et comme en un raccourci grandiose. Et l’histoire même de notre art, ou du moins une de ses révolutions, une de ses principales vicissitudes, nous apparaît également ainsi. L’éternelle question se pose une fois de plus entre deux modes principaux et opposés de la musique : la polyphonie vocale du xvie siècle et la symphonie instrumentale du nôtre, et portant l’antithèse plus loin, plus haut encore, on se demande quelle musique est la plus belle et la plus pure : celle qui s’uni au verbe pour le traduire, ou celle qui s’en passe et qui parle, mieux que lui peut-être, sans lui.


De tous les Kapellmeister qui, chaque année, au printemps, nous viennent ou nous reviennent d’Allemagne, il semble bien qu’après M. Hans Richter, M. Félix Weingartner soit maintenant le plus grand artiste et le plus inspiré. Que dis-je, « maintenant ? » il faut dire aussi « déjà . » M. Weingartner est jeune, il paraît plus jeune encore, et sa jeunesse donne à son talent un charme personnel, unique même, fait de souplesse et comme d’élasticité, de chaleur, de force et de joie.

Deux dimanches de suite, ce fut « merveille de le voir, merveille