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plus sensible que l’autre. Sensible d’abord à la vue, car le spectacle n’est pas moins déplaisant que déplacé. Un seul instrument, à l’église, est beau d’une beauté visible : c’est l’orgue, parce qu’il répond à la beauté, visible aussi, de l’église même. Il fait corps avec la nef, il en occupe le fond par sa masse, et par l’élancement en faisceau de ses tiges de métal, il n’en saurait égaler sans doute, mais du moins il en imite la hauteur. Nulle part, au contraire, l’orchestre ne peut trouver sa place. Il est partout affreux à voir. Il l’est quand il encombre le transept et le chœur de ses contrebasses et de ses timbales. Il ne l’est pas moins si, comme à Saint-Eustache, il s’étage sur une estrade appuyée à la porte centrale. Oh ! les horribles taches que faisaient les instrumens de bois ou de cuivre contre une tenture verte et plus horrible encore ! Sans compter que le public, assis en face des musiciens, tournait le dos à l’autel. Ainsi l’édiflce même avait à souffrir dans ses lignes essentielles une contradiction ou un renversement, cette musique troublait à la fois la destination et jusqu’à l’orientation de cette architecture.

Mais comme cette architecture s’est vengée sur cette musique ! Elle a réduit à la faiblesse, pour ne pas dire à l’impuissance, l’orchestre importun, étranger. Dans l’atmosphère de l’église, que l’orgue seul est de force à respirer tout entière et comme d’une haleine, l’orchestre se dissout et s’évanouit. On l’entend plus mal ici que dans les plus mauvaises salles de Paris : c’est la salle du Trocadéro et celle de l’Opéra que je veux dire. Quarante violons à Saint-Eustache font du bruit comme quatre. Un chœur du Requiem de Berlioz, sans accompagnement, n’y a pas paru moins accompagné que les autres. « Petit son ! » disait dédaigneusement Cherubini d’un hautbois ; il le dirait ici de tout un orchestre. Sans compter que ces « petits sons, » qui semblent venir de là-bas, semblent également s’en aller là-haut, et nous donnent l’impression que le phénomène acoustique se produit, non pas auprès, autour de nous, mais au-dessus, bien au-dessus, à l’intersection des voûtes.

L’église n’amoindrit pas seulement la sonorité de l’orchestre : elle la défigure. Elle donne de l’aigreur aux « cordes » et aux « bois ; » elle ôte de la rondeur et du relief aux « cuivres. » Autant enfin que la qualité et le volume des sons, elle en altère la succession ou la simultanéité. Alors même que les instrumens jouent ensemble — ainsi qu’il arrive quelquefois — ce n’est point ensemble que nous les entendons. Certaines notes nous parviennent plus vite, d’autres plus lentement. Le chef d’orchestre et l’orchestre ne semblent jamais « partir » que tour