Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 158.djvu/924

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Jacob van Ruysdael, après avoir traîné la misère à Amsterdam, retourne agoniser dans sa ville natale, Harlem, à l’hospice des pauvres ; le troisième, Hobbema, ne peut nourrir sa famille qu’en remplissant l’emploi de jaugeur-juré sur les marchés d’Amsterdam ; il finit, avec sa femme, dans l’indigence, il ne laisse pas de quoi être enterré. Oh ! les braves gens qui travaillaient pour eux, par plaisir, par amour ! Ils n’ont fait, ceux-là, ni réclames, ni expositions ; ils ont accepté la pauvreté comme ils ont adoré la nature, franchement et virilement ; ils nous ont livré, sans hésitations, sans réticences, toute leur âme, toutes les joies saines, loyales, inépuisables de cette âme ravie par les communs accidens de leur terre et de leur ciel ; ils ont transformé, par la seule chaleur de leur sincérité, ces accidens modestes, ces accidens médiocres, en des beautés éternelles, aussi attirantes et plus pénétrantes que celles des altitudes sublimes et des panoramas grandioses !

Toute la gloire, tout l’argent allait alors aux italianisans, à ceux qui conciliaient le plus habilement le charme d’une observation exacte et d’une sensation délicate aux habitudes d’arrangement classique données par les premiers voyageurs en Italie. Quelques-uns de ces maîtres restent d’excellens artistes ; l’Italie n’a guère eu de meilleurs interprètes ; leur intelligence septentrionale des êtres et des choses simples et de la vie universelle par la lumière ne les abandonne presque jamais, et souvent éclate chez eux par des accens d’une émotion grave et d’une consciencieuse loyauté. Des artistes tels que Jan Both (1610-1652), avec son grand paysage, au soleil couchant, où une dame, montée sur un mulet, cause avec un paysan, Asselyn (1610-1652), avec ses ruines dans la campagne romaine, Berchem (1620-1683), si beau dessinateur, si beau compositeur, avec ses onze toiles de paysages et d’animaux, Pynacker même (1621-1693), ne sont pas des artistes méprisables ; Rembrandt, l’ami d’Asselyn, les estimait et les admirait, parfois rivalisait avec eux ; nous ne saurions être plus difficiles que Rembrandt ! Ce serait, d’ailleurs, nous priver d’un réel plaisir, en même temps que commettre une injustice, que de ne point reconnaître souvent, en ces paysagistes voyageurs, un sentiment de grandeur puissante dans le développement des magnificences végétales et des aspects panoramiques, une conscience admirable dans l’étude des terrains, des arbres, des animaux, et une intelligence émue des grands effets de lumière, qui les apparente plus d’une fois à notre Claude Lorrain.