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lumière, presque éteinte dans les angles et sur les murailles, calme et caressante sur les profils des deux apôtres et du serviteur dont elle accentue doucement les expressions de surprise, plus vive sur les blancheurs de la nappe, puis, enfin, frémissante, chaleureuse, triomphante, divine, sur les mains, la poitrine, la tête du Christ, la tête surtout, extasiée, affable, toute douloureuse des angoisses de la passion, pâle encore de sa traversée dans le tombeau, d’où elle rayonne en des vapeurs d’or. Nulle pensée de décor, nulle exaltation plastique dans les attitudes, ou théâtrale dans la mimique, nul éclat artificiel dans l’illumination. C’est la vraisemblance même dans l’invraisemblance, la réalité palpable, irrésistible dans le miracle. Jamais plus haute poésie ne fut produite par des moyens moins appareils.

De 1651, nous avons la belle étude de la Galerie Lacaze, Portrait d’un jeune homme, tenant un bâton. La manière du maître se fortifie et s’élargit de plus en plus. Veuf depuis plusieurs années, avec un enfant en bas âge, un peu délaissé par les amateurs mondains, se débattant au milieu d’embarras financiers qui vont le mener à la déconfiture, s’enfermant plus que jamais dans son atelier, Rembrandt a trouvé, dans une servante intelligente, Hendrickie Stoffels, la compagne dévouée qui le soutiendra, jusqu’à y perdre la vie, dans ses afflictions et dans ses luttes. Elle est encore jeune alors, sinon belle ; c’est, pour le peintre, un modèle quotidien, complaisant et aimé. Hendrickie, la même année, se présente au Louvre sous deux aspects bien différens ; c’est, à la fois, le célèbre Portrait de Femme du Salon carré, et la Bethsabée, sortant du bain, de la collection Lacaze. Dans le premier de ces tableaux, l’expression de la physionomie féminine, d’un visage doux et charmant, tout rayonnant de bonté modeste et de tendresse discrète, arrive à un degré de délicatesse grave et pénétrante qu’on n’avait jamais atteint et qu’on n’a jamais dépassé ; dans la seconde, le rendu scrupuleux de la réalité, d’une réalité défectueuse et commune, dans l’étude d’un corps nu, est poussé jusqu’au bout, avec une franchise impitoyable, qu’il serait dangereux d’imiter. Tous les deux sont des chefs-d’œuvre qui tiennent justement une grande place dans l’histoire de la peinture.

Pour les gens du métier, pour tous ceux aussi qui, dans une peinture, savent goûter, comme il faut, la saveur de la mise en œuvre, l’exactitude des formes, la justesse de leurs reliefs et de leurs mouvemens, la souplesse et la chaleur de l’enveloppe atmosphérique