le blessé sur le cheval qui l’a porté et que retient par la bride un gamin coiffé d’une toque à plumes. Figures très vivantes, d’un réalisme insistant, avec une abondance de détails pittoresques qui amuse l’œil, et dissémine l’émotion. Dans le tableau, au contraire, quinze ans après, quelle gravité, quel mépris des détails insignifians, quelle profondeur simple d’émotion, quelle solennité vraie et émouvante ! Jour tombé ; une vaste cour d’hôtellerie ; quelques chevaux au repos et quelques voyageurs qui regardent ; le Samaritain a réglé les choses, il fait signe aux deux serviteurs ; ceux-ci apportent, le soulevant par les épaules et les jambes, le blessé presque évanoui ; un jeune garçon tient le cheval par la bride. Tout se fait silencieusement, gravement, dans le recueillement de l’ombre qui descend et ne laisse plus qu’à peine percevoir, par degrés, les figures et les choses. Sur les qualités de l’exécution, il n’y a qu’à laisser parler Fromentin : « La toile est enfumée, tout imprégnée d’ors sombres, très riche en dessous, surtout très grasse... Nul contour apparent, une structure des choses qui semble exister en soi, presque dans les secours des formes connues, et rend sans nul moyen saisissable les incertitudes et les précisions de la nature. Pas une contorsion, pas un trait qui dépasse la mesure, pas une touche dans cette manière de rendre l’inexprimable qui ne soit pathétique et contenue, tout cela dicté par une impression profonde et traduit par des moyens tout à fait extraordinaires. »
La même année, le grand poète de la pitié et de la lumière se surpassait pourtant dans les Pèlerins d’Emmaüs. Il s’agissait là encore d’un de ces sujets si tentans pour les peintres, la transfiguration d’un homme en dieu. Aussi les Italiens, les Vénitiens surtout, l’avaient-ils fréquemment abordé. Rembrandt, lui-même, s’y était attaqué plusieurs fois, s’efforçant toujours d’y mettre plus de simplicité, d’émotion, quelque effet à la fois vraisemblable et surnaturel. Se contenta-t-il lui-même en peignant la toile merveilleuse de 1648 ? Non, probablement : ainsi que l’inquiet Léonard, il ne se contenta jamais ; mais, lorsqu’il reprit, plus tard, le même thème, cette fois-là, il ne put trouver mieux. De fait, il n’est point d’œuvre qui donne aux yeux et à l’âme une plus profonde, noble et durable satisfaction que ces Pèlerins du Louvre. La technique en est admirable, si souple et si libre qu’à l’abord on ne la sent point. Les couleurs sont discrètes, l’aspect presque monochrome ; et l’apothéose s’accomplit par le seul jeu de la