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traité en Italie par les Bolonais, dans le Nord par les suivans d’Adam Elzheimer. Rembrandt, cette année-là, le reprit lui-même plusieurs fois et chercha sa composition dans plusieurs dessins, plaçant l’ange tantôt de face, tantôt de côté, parfois même le faisant disparaître dans un sillon lumineux. La difficulté, dans le tableau du Louvre, est abordée et résolue avec hardiesse. L’ange, qui, sous une forme humaine, vient de rendre la vue au vieux Tobie, révèle tout d’un coup son origine divine en ouvrant ses grandes ailes pour remonter aux cieux. Il s’envole en tournant le dos, tandis que toute la famille, sur le seuil du logis, le père, guéri, qui se prosterne, le fils, qui s’agenouille, sa jeune femme, qui dresse la tête en joignant les mains, la vieille mère, qui, fermant les yeux, s’affaisse sur l’épaule de sa belle-fille, le barbet, épouvanté, qui aboie, tous se tournent, émerveillés et stupéfaits, vers cette fuite resplendissante de l’envoyé miraculeux. La tunique et les ailes de l’ange, diaprées, chatoyantes, dans un frémissement de tons verdâtres, bleuâtres et violacés, dateraient presque ce chef-d’œuvre, où la science de la composition à la fois épique et familière et la science de l’illumination nuancée et dramatique atteignent une perfection inconnue avant Rembrandt.

Le Portrait de Vieillard, de 1638, est une étude savoureuse, mais dont l’intérêt diminue forcément à côté de la Sainte Famille de 1640, l’exquise Famille du Menuisier. Ici, non seulement Rembrandt dépasse, par le jeu délicat des tonalités brunes sous la caresse des lueurs tendres, ses contemporains les plus habiles, ses rivaux en ce genre, Brouwer et Adrien Van Ostade, mais il y marque, en chaque détail, la supériorité de son génie, par un goût exceptionnellement délicat, qu’il n’aura pas toujours. La Vierge-Mère offrant son sein blanc à l’enfant, par la régularité et la finesse de son profil, l’enfant lui-même, par les justes proportions de son petit corps potelé, rappellent que Rembrandt collectionnait avec passion les tableaux, gravures, dessins de Venise et de Lombardie, qu’il ne cessait de les étudier et qu’il savait s’en souvenir. Ses Vierges, tendrement éclairées, viennent parfois de chez Lorenzo Lotto, comme ses Christs, le plus souvent, arrivent de chez Titien ou Léonard, et son génie hollandais retrempe toutes ses réminiscences dans une source fraîche de vérité et de réalité qui les transforme et qui en décuple l’effet. Nulle part, il n’a exprimé, avec plus de tendresse délicate et profonde, le bonheur intime d’une famille modeste dans un milieu