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main qui ne laissent nul doute sur la ressemblance. Le dessinateur net et consciencieux de ces visages parlans, de ces mains vivantes, de ces végétations enchevêtrées, s’y montre l’égal du peintre harmonieux qui accorde, avec un calme édifiant, le contraste des carnations claires et des étoffes sombres, dans la gravité concordante des panoramas majestueux. Tout le génie hollandais s’affirme déjà, chez Mor, avec toute sa franchise loyale et toute son intelligence passionnée de la vérité, dans un rare et bel élan de noblesse, qu’il ne retrouvera pas toujours.


II

Anthonie Mor est un peintre aristocratique ; aussi exerça-t-il moins d’influence sur les peintres de son pays, devenu, à la fin du XVIe siècle, protestant et républicain, qu’il ne fit sur les Flamands catholiques et soumis à la domination espagnole. Les innombrables peintres de corporations militaires et civiques dont les tableaux remplissent encore les musées, hôtels de ville, hospices de Hollande demandèrent bien, comme lui, des conseils aux Italiens, mais seulement pour la technique ; ils accentuèrent, en revanche, avec un réalisme croissant, le caractère local, la simplicité, la bonhomie, parfois la lourdeur, bourgeoise ou populaire, de leurs compatriotes. De tous ces portraitistes, modestes et scrupuleux, nous ne trouvons guère ici, pour marquer la transition entre Anthonie Mor et Frans Hals, que Michiel Jansz Mierevelt, de Delft (1567-1641) et Jan Antonisz van Ravesteyn, de La Haye (1572-1657). Tous deux furent, en leur temps, des maîtres considérables, aussi sincères que féconds, et dont les œuvres loyales gardent tout leur prix. Hommes de progrès, d’ailleurs, et très au courant de ce qui se faisait autour d’eux. Voyez Mierevelt ! Entre son Olden Barnevelt (1617) et sa Jeune femme (1634) en riche costume, vive, rosée, souriante sous son bonnet de guipures, tenant à la main de longs gants où sont brodés en or et couleurs éclatantes des oiseaux, des papillons, des fruits, la différence est telle, qu’on ne peut oublier combien Harlem est proche de Delft, et qu’à ce moment-là, Frans Hals y exécutait ses joyeux repas d’archers. Deux Portraits de femmes, par Ravesteyn, de la même époque (1633-1634), honnêtes, mais froids, ne suffisent pas à donner une idée exacte de ce maître qui, dans ses tableaux de corporations, à La Haye, se montre parfois d’une gravité si puissante.