anxieuse des nouvelles, les inquiétudes continuelles sur une vie chère, les départs précipités, ces voyages qui ressemblaient à des fuites, enfin toutes ces années tragiques ou incertaines vécues par la famille en Posnanie, en Suède, en Poméranie, jusqu’à l’asile misérable qui l’abritait aujourd’hui. Un jour, au château de Posen, lorsque Marie était tout enfant encore, les Russes étaient arrivés, pendant une absence du père, et avaient enfoncé les portes ; on l’avait fait fuir par une fenêtre sur les jardins ; dans le village où l’on s’était réfugié, un paysan l’avait cachée dans son four, et elle avait attendu là, sans bouger, de longues heures, que les ennemis redoutés fussent partis. De tels souvenirs n’étaient pas rares dans la mémoire de Marie, et lui faisaient remercier Dieu et le roi de France de cette tranquillité présente qui ne satisfaisait point son père.
L’exilé qui signait encore « Stanislas roi, » ainsi qu’il le fit toute sa vie, subordonnait pour le moment ses ambitions politiques à ses devoirs de paternité. Cette enfant uniquement aimée et si digne d’être heureuse, mais sans fortune et sans patrie, ne pouvait plus attendre l’union qu’il avait autrefois rêvée pour elle. Isolé comme il l’était de son pays, c’était dans la noblesse de France ou des bords du Rhin qu’il devait trouver un protecteur pour cette chère et incertaine destinée. Il n’oubliait pas, en ce temps où l’honneur du nom était compté d’abord dans le patrimoine des familles, que la gloire éphémère de sa couronne donnait à sa fille le droit d’être recherchée par de grands personnages ; mais le même souvenir obligeait aussi le père à se montrer difficile sur les prétendans et restreignait singulièrement son choix.
Un peu avant la mort du régent, la princesse Marie avait été demandée par le marquis de Courtenvaux, petit-fils du ministre Louvois, qui exerçait à Versailles la charge de colonel des Cent-Suisses de la garde du Roi ; mais il n’avait pu obtenir le duché-pairie que Stanislas eût souhaité pour son gendre, et le projet n’avait pas eu de suite. Le roi de Pologne avait songé de son côté au fils de la margrave de Bade, sa voisine ; mais celle-ci, après les premiers pourparlers, s’était dérobée, non sans laisser sentir qu’elle n’appréciait point les avantages d’une alliance avec un roi sans royaume. Stanislas était encore sous l’humiliation de ce refus, quand une proposition inattendue vint jeter dans la famille l’idée et l’ambition d’un mariage avec un prince de la maison de Bourbon.