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semblables, je ne m’étais jamais posé cette question), je m’inter- rompis, et me demandai : Pourquoi ? Pourquoi ce membre de phrase me plaît-il plus que les précédens ? »

Dès ce moment, si c’est trop de dire que le poète était perdu, du moins entrait-il dans une période de malaise et dans un dédale de scrupules dont il ne s’est pas dégagé depuis lors. Le praticien richement doué, le lyrique inspiré devenait la proie de la théorie et la victime du procédé. « Je sentais, poursuit-il, l’importance extrême, l’incalculable portée de ce problème en apparence insignifiant, mais dont la solution devait donner la clef de tous les secrets de l’esthétique. » Ah ! découvrir la raison mystérieuse de l’harmonie des mots, la formule magique qui donne la beauté à la phrase, et devenir par ce moyen le plus grand des poètes, puis, par la communication de sa trouvaille, en créer peut-être une infinité d’autres à son image : ce rêve dut hanter un cerveau trop logique. On croit lire l’ébauche d’un conte d’Hoffmann dans cette confession véridique d’un homme de talent obsédé par un fantôme.

En effet, poursuivi par une idée fixe, par une monomanie dont la naissance avait été si soudaine, Holz, familier de la pensée française, eut une seconde hallucination. « Sans que je pusse savoir d’où cela me vint, et sans que je me préoccupasse d’ailleurs de le discerner, je sentais bourdonner dans ma tête cet axiome de Zola, que j’avais dû entendre quelque part : « Une œuvre d’art est un coin de la nature, vu à travers un tempérament. » Le lecteur qui a suivi l’évolution ultérieure de l’écrivain reconnaît ici le premier germe de la mission que Holz s’est attribuée, celle de rectifier et de compléter les leçons théoriques de M. Zola, pour doter son pays de l’esthétique naturaliste définitive.

En effet, cette phrase parut au jeune rêveur une vérité, mais une vérité incomplète, car nous verrons qu’à son avis le tempérament y est de trop. L’œuvre d’art est un coin de la nature, tout simplement, dira-t-il plus tard. Mais, pour ce jour-là, il ne parvint pas à formuler nettement cette découverte. Tout entier à l’enthousiasme de sa mission révélée, il s’abandonna à des songes dorés. « Devant mes yeux se bâtit, de ponts étincelans, et de tours aériennes, toute une fantasmagorie, encore lointaine et vague, il est vrai, et, ce soir-là, j’allai me coucher très tard. »

La première conséquence de cette vocation nouvelle fut l’abandon des Jours dorés, dont la première page seule avait vu