Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 158.djvu/86

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

famille. On vivait à l’écart du monde et presque ignoré de lui, recevant seulement quelques visites de la noblesse de la province. Le roi de Pologne avait noué cependant des relations d’amitié avec le cardinal de Rohan, évêque de Strasbourg, et le maréchal du Bourg, commandant de la même ville. Le prélat et le maréchal venaient assez souvent à Wissembourg, attentifs à remplir le devoir de l’hospitalité envers une infortune aussi intéressante, et déclaraient leur admiration affectueuse pour les vertus qu’ils y rencontraient.

Dans cet intérieur d’exilés, où la reine montrait plus de force de caractère que de douceur, et qu’attristait encore la morose vieillesse de la mère du roi, tout le sourire et toute la grâce venaient de la princesse Marie. A mesure que l’espoir de retourner en Pologne s’effaçait, les préoccupations de Stanislas se concentraient sur l’avenir de cette enfant de vingt ans, devenue fille unique par la mort récente d’une sœur aînée. Elle tenait de lui non seulement les traits de son visage, mais son humeur enjouée, son cœur passionné et son goût des choses de l’esprit. Il l’avait élevée lui-même pendant les dernières années, dans les trop longs loisirs de Wissembourg, et lui avait donné une instruction forte, l’habitude des lectures solides, une religion sans bigoterie, non sans dévotion, et fort appuyée sur les pratiques. Destinée, comme il le semblait, à mener une vie modeste, elle avait reçu l’éducation qui se prête le mieux à en faire supporter la médiocrité et à en augmenter le charme. Elle dansait, chantait, jouait du clavecin, tout cela avec un goût naturel et sans avoir eu de maîtres de premier ordre pour l’y perfectionner. Il manquait à sa personne le don suprême de la beauté ; mais elle était agréable, bien faite, avec des yeux expressifs, un grand front, une jolie bouche, et la jeunesse d’un teint dont l’eau fraîche faisait tout le fard. Une telle jeune fille était de celles dont un cœur paternel s’enorgueillit et qu’il croit promises, par un droit spécial, à toutes les formes du bonheur.

Les seuls plaisirs que Marie eût goûtés jusqu’alors se réduisaient à l’intimité de son père, aux visites des rares amis, et aux œuvres de charité qui remplissaient ses journées et celles de sa mère et lui valaient l’affection des pauvres gens du voisinage. Les malheurs persistans qui avaient frappé autour d’elle avaient développé ses sentimens de pitié et mûri par la souffrance son jeune esprit. Elle se rappelait sans cesse le temps des guerres désastreuses, l’attente