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du talent de Hauptmann, si ses autres ouvrages n’étaient moins connus en France : mais, en résumé, art de rencontrer le détail pittoresque, de donner la sensation du milieu choisi, réalisme conséquent, pour employer le terme consacré en Allemagne, tels sont les caractères du talent de Hauptmann, au dire du biographe bienveillant qui est, jusqu’à un certain point, le porte-parole de l’écrivain dont il a retracé la carrière, et mesure les réserves avec autant de discrétion qu’il prodigue les louanges d’une main libérale.

Si l’on voulait entendre toutefois un panégyriste encore plus intrépide, ce serait, chose étrange, aux côtés du sévère Mehring, dans le sein du parti marxiste qu’il faudrait le chercher. M. Edgar Steiger est le directeur de la Neue Welt, sorte de magazine, de feuille de famille, destinée à porter dans les intérieurs ouvriers la bonne parole socialiste, et que le Vorwaerts, organe officiel du parti, sert comme supplément hebdomadaire à ses abonnés. Dans ce poste de confiance, l’éclectisme littéraire de M. Steiger adonné lieu déjà à quelques plaintes, dont nous avons retracé ailleurs l’amusante histoire[1]. Son point de vue esthétique est en effet différent de celui de ses compagnons, et son esprit paraît avoir fort peu subi l’influence de la conception matérialiste de l’histoire, qui devrait être pourtant, si l’on accepte les enseignemens de Mehring, le fondement de l’esthétique socialiste orthodoxe.

Sans doute, Steiger se garde de renier expressément un des articles de foi de la doctrine pour laquelle il a accepté de combattre, mais ses coreligionnaires flairent en lui l’hérétique[2], car il se sent et se dit avant tout artiste, gourmet de lettres, et friand d’émotions poétiques. Sur ce terrain, il a le courage de ses opinions. Peu lui importent les ana thèmes de M. Mehring et les excommunications de M. Liebknecht. Hauptmann est son homme ; il le proclame à la face de l’univers. Et, malgré ces audaces, les socialistes les plus ardens ne sauraient se brouiller avec un polémiste qui rédige ses considérations suspectes dans le cachot où l’a conduit son dévouement à la bonne cause. Le Devenir du drame moderne est en effet daté de la prison de Zwickau, où l’auteur purgea durant quatre mois et demi une condamnation

  1. Voyez dans nos essais : Littérature et Morale dans le parti socialiste allemand, 1898, Plon ; le chapitre intitulé : La littérature contemporaine au Congrès de Gotha.
  2. Stroebel, Neue Zeit, t. XVII, p. 37, 347.