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pour être reine d’Espagne et je crois que cette proposition ne lui déplairoit pas. »

Phelypeaux, de son côté, renseignait sa Cour sur le caractère de la princesse : « Elle est pleine de fierté, de hauteur, d’ambition, jusques-là que j’ay sceu, il y a plus de trois mois, et sans y avoir fait attention, que dans ses discours familiers elle marquoit quelquefois qu’elle se tiendroit pour offensée, si on lui offroit moins qu’un roi[1]. »

Ce projet de mariage avait été, en apparence du moins, accueilli avec quelque froideur à Turin. Nous disons : en apparence, car Victor-Amédée avait immédiatement compris le parti qu’il pourrait tirer de cette proposition. Lors des négociations qui précédèrent les fiançailles de la duchesse de Bourgogne, en même temps qu’il offrait sa fille à Louis XIV par l’entremise de Tessé, Victor-Amédée, on s’en souvient peut-être, l’offrait à l’empereur Léopold par l’entremise de Grimani[2]. Aussitôt saisi d’une proposition de mariage pour sa seconde fille, Victor-Amédée joua le même jeu. L’année précédente, à une question de Briord, Saint-Thomas répondait en niant qu’il fût question d’un mariage entre la princesse de Piémont et l’archiduc Charles. Mais, quelques mois après, Victor-Amédée rappelait fort opportunément ce vague projet, et il chargeait Vernon de dire « que le roi des Romains avait déjà vu comme elle avait bon air et que d’ailleurs le testament de Charles II s’opposait à ce que son successeur épousât une autre princesse qu’une archiduchesse[3].

Dans une conversation avec Phelypeaux, Victor-Amédée revenait sur cette désignation d’une archiduchesse comme femme de Philippe V par le testament de Charles II « et faisoit observer qu’il seroit fort désagréable que sa fille fût exposée à voir le Conseil d’Espagne ne pas ratifier ce mariage. » « Il m’a dit, ajoutait Phelypeaux, que la princesse de Piémont n’étoit point belle, mais qu’on pouvoit espérer beaucoup de son bon naturel et de

  1. Aff. étrang., Corresp. Turin, vol. 106. Phelypeaux au Roi, 10 décembre 1700.
  2. Voyez la Revue du 15 avril 1896.
  3. Archives de Turin, Lettere Ministri Francia, mazzo 129. Victor-Amédée à Vernon, 31 décembre 1700. En effet, dans le testament de Charles II, la clause qui instituait le duc d’Anjou comme héritier se terminait ainsi : « Et d’autant que je désire avec passion que la paix se conserve entre l’Empereur mon oncle et le Roi Très Chrétien dont l’union importe si fort à la Chrétienté, je les prie et conjure de vouloir étreindre cette union par le mariage du duc d’Anjou avec l’archiduchesse afin que par ce moyen l’Europe jouisse du repos dont elle a besoin. » Sourches, t. IV, p. 38.