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négociation où il fallait ménager tout à la fois un intérêt politique de premier ordre, la dignité d’une princesse et l’orgueil de deux maisons. La première idée d’un mariage immédiat entre cette jeune princesse qui avait à peine douze ans et un prince qui en avait tout au plus dix-sept avait été, nous l’avons dit, accueillie avec réserve par Vernon qui n’avait point d’instructions. Depuis lors, le projet avait pris corps et la cour de France semblait s’y attacher plus que celle de Turin. M me de Maintenon, qui, durant la familiarité des dernières soirées passées dans sa chambre, s’était prise d’affection pour le roi d’Espagne, le favorisait ouvertement. « On ne croit pas ici, écrivait-elle au duc d’Harcourt, qu’on doive lui donner une archiduchesse, et on penche à la princesse de Savoie. Elle a douze ans passés, et on nous assure qu’elle a la taille aussi belle que M me la duchesse de Bourgogne. C’est le principal pour une femme et pour les enfans qu’on en attend[1]. »

La duchesse de Bourgogne, au rapport de Vernon, aurait également pris la chose fort à cœur et, au moment du départ de Tessé pour Turin, elle lui aurait dit que : « Sarrebbe un gran sorte per sua sorella si potrebbe farla esser Regina di Spagna. » Tessé n’avait garde d’oublier cette recommandation, et, de Turin, il adressait à la duchesse de Bourgogne ce joli portrait de sa sœur, qu’elle avait quittée tout enfant, et qu’elle n’avait pas vue depuis quatre ans : « Madame la princesse, votre sœur, que vous m’aviez tant recommandé d’observer, est de la taille à peu près que vous étiez quand j’eus l’honneur de vous voir, et que vous me prîtes pour un Allemand. Elle aura le teint quasi aussi beau que le vôtre, les yeux de la même couleur que les vôtres, mais plus petits et moins brillans ; ses dents ne seront pas belles ; elle a quelque chose de vous dans le bas du visage ; l’on ne peut pas dire que vous vous ressembliez, et cependant il y a quelque air l’une de l’autre. La petite vérole ne l’a point marquée. Elle n’a pas sur les lèvres le coloris qui feroit quasi croire que l’on vous les écorche quelquefois ; elle n’a pas la tête placée comme vous, et ses yeux enfin ne se promènent pas comme les vôtres, et ne leur ressemblent qu’en ce qu’ils sont de même couleur. Au surplus, cette princesse passe pour être douce, facile à servir, peu ou point d’humeur : pour moi, je la trouverois parfaitement taillée

  1. Correspondance générale, t. IV, p. 350.