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comprendre la nécessité d’une pénitence au moins apparente pour le scandale qu’elle avait donné, et elle était entrée à Poissy, dans un couvent où il lui semblait fort pénible qu’on ne pût la voir et lui parler qu’à travers une grille en fer. Victor-Amédée, qui ne semble point avoir ressenti trop d’irritation de son départ (peut-être espérait-il qu’elle trahirait la France pour lui), était demeuré en relations. Il devait même plus tard renouer correspondance avec elle. Pour l’instant, il lui envoyait l’assurance « de l’estime très particulière qu’il avoit conservée pour son mérite » et, s’il lui réclamait son portrait qu’elle avait emporté, en revanche il lui faisait remettre par Saint-Thomas et par l’intendant de ses biens en France, Planqué, tantôt un baguier, tantôt des meubles, tantôt des pots d’essence et de pommade. En même temps il s’adressait à Vernon pour avoir de ses nouvelles et celui-ci lui en adressait très fréquemment, le plus souvent sous forme de lettres particulières, parfois en post-scriptum de ses dépêches. C’est ainsi qu’à la fin d’une des plus importantes, il l’informe que la comtesse de Verrue est venue s’installer au couvent de Chasse-Midy, où l’air est meilleur, et qu’elle attend l’arrivée de son mobilier et de sa vaisselle, se plaignant fort d’être privée de tout[1]. Il tient très exactement Victor-Amédée au courant de tout ce qui concerne la comtesse, de sa nourriture, qui consiste « en un potage et poulet ou poularde le matin, et le soir avec du fruit cuit, » « d’un dévoyement continu qui l’a obligée à prendre médecine, » d’un accident au pied qui l’a fait boiter quelque temps et autres nouvelles de même importance. Ainsi les plus grands ministres de Louis XIV servaient autrefois d’intermédiaires entre leur maître et Mlle de La Vallière ou Mme de Montespan. Versailles donnait toujours le ton à l’Europe.

Avec la duchesse Anne, Vernon entretenait des relations qui ne supposaient pas moins de confiance. C’était le moment où la duchesse de Bourgogne se livrait de plus en plus aux fêtes et à la dissipation, tandis que le duc de Bourgogne tournait, au contraire, à une dévotion austère et exagérée. La duchesse Anne s’inquiétait de cette mésintelligence et elle s en ouvrait à Vernon dans une lettre que nous ne pouvons résister au désir de citer tout entière, tant l’expression de cette maternelle sollicitude nous paraît touchante.

  1. Archives de Turin, Lettere Ministri Francia, mazzo 128. Vernon à Victor-Amédée, 26 décembre 1700. Voyez aussi Léris, La comtesse de Verrue, p. 146 et suiv.