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plaisir par le sieur Phelypeaux, mon ambassadeur auprès de vous, la résolution que j’ay prise d’accepter pour mon petit-fils le duc d’Anjou la succession de toute la monarchie d’Espagne où sa naissance, les dispositions du feu Roy Catholique et la voix des peuples l’apellent unanimement. Il se prépare à partir pour aller prendre possession de ce royaume, et, comme je suis persuadé qu’il se conformera toujours à mes sentimens, qu’il est informé de ceux que j’ay pour vous, je puis, en vous assurant de mon amitié, vous répondre aussy de la sienne et regarder l’union qui sera désormais entre ma couronne et celle d’Espagne comme le présage certain de la tranquillité du reste de l’Europe[1]. »

Ainsi écrivait, le 17 novembre 1700, Louis XIV à Victor-Amédée, et, en adressant cette lettre à Phelypeaux, il le chargeait de la commenter. « Vous ajouterez que je suis persuadé qu’il doit voir avec plaisir la bonne intelligence entre ma couronne et celle d’Espagne establie sur un fondement aussy solide ; que cet événement le délivre à jamais de l’embarras où ses pères ont souvent esté du party qu’ils prendroient entre la France et l’Espagne, et, vraisemblablement, il sera bien aise de voir une monarchie où le testament du feu roy d’Espagne pourroit peut-estre appeler ses descendans exemptée de toute séparation et les Estats qui en dépendent conservés dans la même main où ils sont depuis longtemps[2]. »

Ce n’était pas ainsi que Victor-Amédée aurait souhaité être tiré de l’embarras de prendre parti entre la France et l’Espagne, et la pensée des droits éventuels que conservaient ses héritiers n’était pas pour le consoler de voir demeurer intacte une monarchie au démembrement de laquelle il avait souhaité si vivement prendre part. Peut-être n’était-ce même pas faire preuve d’habileté que d’user ainsi de raillerie avec un prince dont le ressentiment était au contraire à ménager. La première bouffée d’orgueil passée, il semble, au reste, que Louis XIV, souvent plus hautain dans ses lettres que dans son accueil, ait eu le sentiment de cette nécessité. Dans les premiers jours de décembre, il donnait audience au président de la Tour, l’ambassadeur de Savoie auprès des États Généraux, qui se trouvait de passage à Paris. Cet habile conseiller, qui connaissait bien son maître et lui avait déjà fait

  1. Aff. étrang., Corresp. Turin, vol. 100. Le Roi au duc de Savoie, 17 nov. 1700.
  2. Ibid., Le Roi à Phelypeaux. 17 nov. 1700. A défaut du duc d’Anjou et de l’archiduc Charles, le testament de Charles II appelait, en effet, au trône le duc de Savoie et ses descendans.