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desseins, qu’était la diplomatie de Louis XIV. Quand on feuillette au ministère des Affaires étrangères ces innombrables Dépêches contenues dans les volumes de la Correspondance et ces Mémoires et documens où sont traitées tant de questions, les unes secondaires, les autres capitales et encore actuelles, lorsqu’on constate la solidité de ces Mémoires, la précision de ces Dépêches, la rapidité des demandes et des réponses, lorsqu’on réfléchit qu’une grande partie des Mémoires et toutes les dépêches passaient sous les yeux de Louis XIV, que les corrections ou les ratures qu’on relève sur les minutes ont été souvent inspirées par lui, et qu’à ce labeur incessant il a, pendant cinquante-deux ans, consacré chaque jour plusieurs heures, sans que ni entraînemens de jeunesse, ni douleurs privées, ni fêtes de cour, ni désastres publics, l’aient jamais détourné de tenir conseil tous les jours, on ne saurait méconnaître que ce roi fut vraiment grand non par le génie, non peut-être par le caractère, encore moins par la vertu, mais par la seule qualité qu’on ait toujours le droit d’exiger de ceux qui invoquent le droit héréditaire : la conscience professionnelle.

Est-ce à dire que dans sa diplomatie Louis XIV n’ait jamais commis de fautes ? Bien au contraire. Nature étrange et complexe, malgré l’unité apparente dont sa majesté soutenue entretenait l’illusion, Louis XIV renfermait en lui de singuliers contrastes. Sa vie privée offre un mélange de prodigieux égoïsme et de sensibilité vraie, de hauteur et de bonhomie, de dureté et de faiblesse. De même sa politique a connu des alternatives de mesure et d’emportement, de prévoyance et d’aveuglement. Après une longue série de négociations sagement combinées, conduites avec prudence, poursuivies avec persévérance, où il sait tout ménager, tout concilier, tout prévoir, une bouffée d’orgueil lui monte à la tête, et sa hauteur ou son intempérance lui font perdre les fruits d’une longue patience. Ainsi fit-il au lendemain de la paix de Nimègue, l’apogée du règne, quand, ne sachant pas se contenter de l’agrandissement considérable que ce traité valait à la France, il commit la double faute de blesser les puissances protestantes par la révocation de l’édit de Nantes, et d’inquiéter l’Europe par des prétentions affichées à la domination universelle en même temps que par des appétits croissans. Nous l’avons vu, en particulier, fouler aux pieds la Savoie en prétendant l’asservir, la jeter ainsi dans les bras de l’Empire et faire de Victor-Amédée